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N °7 -                La vie d'un bout à l'autre


            Il pleuvait ce jour-là lorsqu’elle s’est levée.

            « Ah ! au fait quel jour sommes-nous ? » se dit-elle.
            « Vendredi 13 ?! Zut ! »

            Elle n’aimait pas les vendredis 13, car ils lui réservaient toujours des surprises : l’annonce
            du divorce de ses parents, ses premières règles, le départ d’Armand.

            Néanmoins, Rebecca Bronzino ne pouvait pas repousser son voyage. Puisqu'elle n'avait

            pas le choix, elle accepta son sort et s’habilla rapidement. Comme elle avait pris le soin de
            préparer sa valise la veille elle but juste un fond de café froid et quitta, déterminée, son

            appartement. Elle dévala rapidement les escaliers de l’immeuble et s’engagea ensuite sur
            les  boulevards détrempés, en  regrettant de n’avoir toujours  pas songé à  acheter  un

            parapluie. Elle  franchit le passage  piéton traversé  par un chassé-croisé  de voitures

            pressées. Marcher sous la pluie battante ne faisait pas l'affaire de Rebecca. Son manteau
            en cuir neuf en prenait un sacré coup et son moral davantage.

            Raison ou pas Jeanne lui avait tapé sur les nerfs la veille au soir, vraiment ! mais bon, ça
            n'était pas la première fois et puis elle restait quand  même son amie.  Sa seule amie

            d’ailleurs. Même au bureau  Rebecca ne faisait  pas  l’unanimité, ses collègues ne  lui

            parlaient pas vraiment. Un ou deux cadres parfois tentaient un jeu de mots minable ou de
            vagues politesses dans l’ascenseur mais Rebecca avait bien compris leurs intentions. Ils

            voulaient faire comme avec les stagiaires et les secrétaires. D’abord on prend un café, le
            lendemain on se fait la bise, on se revoit un soir au ciné, on se touche un peu, et tout ça

            se finit  dans le placard  à  balai  ou au  mieux sur la photocopieuse des archives. Des
            pervers voilà ce qu’ils étaient ! La vision que Rebecca portait sur les hommes s’empirait

            avec l’âge. A moins  que le  principal problème de Rebecca  ne tienne en un  mot :

            l’accumulation. Elle subissait en ce moment de plein fouet la fameuse loi des séries. Elle
            venait d’avoir trente  ans, rien n’allait dans  sa vie sentimentale  mais en plus de  ça rien

            n’allait au boulot... toute la matinée d’hier son directeur d’agence n'avait pas cessé de lui
            crier dessus; il lui avait enfoncé le crâne à coup de «  Il nous faut plus de rendement!  », «

            Les clients manquent !  », «  Vous avez la performance d'une tortue sur le dos !  »  Ainsi,
            ce qu'aurait aimé Rebecca aujourd’hui c'est un soleil radieux, des rayons chauds qui lui

            caressent la joue, un peu de douceur quoi.

            Son pas rapide avalait l'asphalte, il ne lui restait qu'une centaine de mètres avant d'arriver
            à la gare. Sans parapluie la situation devenait très critique, son visage dégoulinait d’eau.


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