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timorées patientaient encore pour s'asseoir. L'une et l'autre se contenaient, polies, un peu
sottes selon Rebecca qui avait bien remarqué que les gamines se faisaient broyer les
pieds par des valises roulantes et pousser de partout par les coudes de plus lestes qui
essayaient de fourrer au-dessus des sièges leurs encombrants bagages. Matthew Bellamy
poussait le refrain de Resistance, un des titres préférés de Rebecca.
Qu'est-ce qu'Armand était allé foutre à Locarno ? La question traversa Rebecca sur un
accord de guitare. Comme elle le faisait souvent elle se mit à chanter dans sa tête. Chez
elle, Rebecca chantait sans gêne, parce qu’elle savait qu’elle avait une belle voix. Est-ce
qu’on peut mettre sur une carte de visite « je chante bien » ?
S'installer en Suisse, en voilà une idée. Si au moins il avait poussé un peu plus il aurait
passé la frontière italienne. Là d'accord, l'Italie c'est autre chose. Elle aussi ça lui aurait plu
d'habiter un peu là-bas, c'est sûr, ils auraient peut-être fait des choses nouvelles
ensemble. Monsieur était musicien, et alors ? quel intérêt d'aller en Suisse ? comme si les
artistes qui avaient du talent devaient nécessairement résider en Suisse. Cette situation
rappela à Rebecca un fait d'actualité people, elle vit apparaître alors le visage de ce
chanteur de rock français récemment inhumé au Panthéon par le président. Un moment
de lucidité frappa Rebecca. Bien sûr qu'Armand a mauvais goût, musicalement, il n'a
jamais voulu admettre que Pink Floyd était l’un des plus grands groupes du XXème siècle
mais en plus de cela il trouve que Johnny Hallyday a du talent. Cette fascination d'Armand
pour Johnny ainsi que son goût pour les karaokés réconforta Rebecca : il n’y avait
vraiment aucune raison de regretter son départ.
Le train se mit en marche, Rebecca augmenta le volume de son lecteur MP3 et
monta en gammes dans sa tête. Au bout d'un moment Rebecca s'assoupit. Muse n'y
pouvait rien, elle était épuisée. Dans son rêve, elle courait après des montres géantes qui
lui échappaient sans cesse, ses pieds étaient minuscules, et toute sa bonne volonté restait
vaine : de toute évidence, le Temps lui filait entre les pattes. Autour d'elle des balles de
couleurs rebondissaient en silence, le monde semblait calme et peu soucieux de sa
course effrénée. Il y avait toutefois dans le ciel quelque chose d'agressif, une lumière très
vive irradiait son rêve. Cette luminosité halogène l'aveuglait et c'est peut-être pour ça
qu'elle manquait de précision et ne parvenait pas à capturer les montres filantes. Quand
elle se réveilla, Rebecca avait sous le nez le phare d'une lampe frontale : son
impressionnant voisin de siège cherchait manifestement à l'énerver. Il était à moitié
penché sur elle, l'air de vouloir plonger son corps volumineux entre ses jambes.
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