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son mari mort en héros ne lui donnait plus le goût des envolées lyriques. Les années
passèrent, les modes changèrent : la radio remercia Lucia pour ses services. Pour élever
correctement ses deux enfants tata Lucie reprit du service au début des années 1950,
dans des boîtes de jazz de la grande ville. Elle reparut par-ci par-là, dans quelques clubs
de la côte Est, mais le public ne suivait plus car le monde avait de nouvelles idoles. Un
matin de novembre 1954, Lucia tourna définitivement le dos à son art qui ne la faisait plus
vivre. Elle réussit à signer un contrat d’exclusivité pour les soupes Campbell. La
multinationale lui fit enregistrer un spot publicitaire pour vanter les mérites de ses potages
en boîte. La gloire de la tante américaine se termina dans un dictaphone. Lucie vendit sa
voix et la diva devint l’écho triste de la compagnie agroalimentaire qui rentrait en bourse.
Quand Rebecca avait dû se présenter au Panda pour une audition, elle n’avait pas pensé
à sa grande-tata Lucie mais plutôt à son père. Son cher papa, qui trouvait la voix de sa
fille tout simplement formidable, l’avait inscrite pour le concert de la fête de la musique.
Rebecca n’avait pas eu l’audace de dire non à son père, cette figure paternelle
l’impressionnait trop. Alors s’était présentée au Panda, malgré tout très détendue mais
sans illusions. Au fond d’elle, sommeillait l’espoir que cette initiative paternelle échoue, ce
qu’il lui aurait permis de faire un reproche légitime à son père. Mais son interprétation de
My Way lui valut d’être choisie comme première partie des Melancholic pour le concert du
21 juin. Ce sera sa première et dernière fête de la musique sur scène. Son père avait
acclamé sa fille à son retour à la maison tandis qu’elle commençait à réaliser avec
panique qu’elle se produirait dans deux semaines devant une foule de gens dont la plupart
seraient probablement des élèves de son lycée.
Rebecca laissa négligemment ses souvenirs et sa bière sur la table en Formica.
Elle repassa devant l’étudiant et lui signala qu’il avait du travail à faire. Elle savait qu’elle
exagérait, qu’elle dépassait une limite qu’habituellement elle ne franchissait pas mais cela
l’aidait à parachever son œuvre :
« Vous devriez passer un petit coup d’éponge sur vos tables, tout ça laisse à désirer. »
Le préposé n’osa rien dire, il ne bougeait plus. Son immobilité assurait la victoire de
Rebecca. Elle avait le dessus, elle régnait sur le sexe masculin. Plus elle observait son
esclave plus elle sentait monter en elle sa force. Elle aurait pu se permettre n’importe quoi,
elle avait envie de l’écraser de son talon, de passer par-dessus le comptoir et de
l’embrasser sauvagement. Elle lança sa fierté sur le jeune homme d’un geste du menton
et quitta les lieux radieuse, puissante et pleine d’une autorité nouvelle. Elle éprouvait cette
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