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Si seulement elle n'avait pas claqué la porte de l'auto-école. Tout ça c'était encore la faute
de ce con d'Armand. A cause de sa jalousie maladive ! persuadé que le moniteur lui faisait
des avances il n’avait rien trouvé de mieux que de plonger sous ses roues le jour de
l’examen. Il y avait eu des bons moments…mais tellement de galères. Voilà qu’il avait
maintenant besoin d’elle à présent. Il manque pas d’air ! La plaquer du jour au lendemain
et la supplier six mois plus tard de venir un week end de l’autre côté des Alpes, en Suisse.
Non seulement il avait décidé de l’emmerder mais en plus en jouant les expatriés. Il serait
bien foutu d’avoir inventé un moyen pour demander un asile politique. En Suisse ça existe
? Des larmes de nervosité plongèrent ses yeux dans un flou absolu.
Au pied de l'horloge de gare, une foule de gens battaient le pavé malgré le mauvais temps
en gueulant des slogans inaudibles. Un mégaphone crachait dans l'air un chapelet de
mots : ça faisait des rimes embrassées du genre « travail/bétail »; « ras-le-bol/pactole ».
Rebecca n'arrivait pas à lire l'heure, le cadran était voilé par le rideau de pluie. Elle n'y
voyait rien malgré ses efforts mais refusa d'essuyer sa figure, tant pis ! « que la flotte
m’immerge ! » se dit-elle. Un voyageur pressé la bouscula avec sa valise. Elle n'eut pas le
temps de l'interpeller et les insultes qu'elle lui lança se perdirent dans l’air. Rien n'allait
plus, depuis trop longtemps : il était temps que les choses changent.
Le wagon allait éclater, tout le monde se précipitait à l'intérieur. Une paire de
grosses dames jouaient des hanches pour se frayer un chemin jusqu'à leur siège, sous les
yeux désolés d'un contrôleur freluquet qui semblait vouloir juste quitter les lieux. Rebecca
trouva sa place, enfin ce qu'il en restait. Son voisin de siège, qu'elle découvrit avec
stupeur et qualifia aussitôt dans sa tête de « baleinesque », trônait sur une bonne moitié
de son siège en plus du sien. La perspective du voyage assombrit son humeur déjà
obscurcie : elle allait devoir passer huit heures à contracter les fesses ou, au mieux, à
équilibrer une partie de son bassin sur l'accoudoir. Génial ! C'est sûr, elle filerait au
wagon-bar dès que possible pour se venger sur les sandwichs SNCF en maugréant des
commentaires agressifs à propos de la qualité médiocre du service ferroviaire. Dans ses
colères Rebecca avait le mérite de ne jamais en vouloir aux innocents, elle savait faire la
part des choses. En l'occurrence, le gros monsieur n'y était pour rien, c'est bien la SNCF
qui aurait dû prévoir des sièges plus larges. Huit heures ! Le temps qui restait fit peur à
Rebecca : Paris-Lyon-Genève-Locarno. Pour échapper aux sonorités désagréables des
humains agités autour d'elle, Rebecca enfonça les caoutchoucs de son Ipod dans ses
oreilles. Le rock puissant de Muse couvrait à présent le brouhaha. Deux étudiantes
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