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N° 9
Le pacte d’amitié
Elle attendait sur le quai. Elle repensait aux derniers jours passés avec celles qu’elle avait con-
sidérées comme ses amies. Un malaise persistait en elle. Ses pensées furent interrompues par
l’arrivée du train.
La porte s’ouvrit, elle mit un pied sur la première marche, leva la tête et s’arrêta brusquement.
Camille fut prise d’un léger étourdissement, elle subissait encore les effets de la drogue qu’on lui avait
fait ingurgiter. Un homme âgé s’impatientait derrière elle. Elle le laissa passer et redescendit du train.
Après tout, personne ne l’attendait à Londres, pas de compagnon, pas d’enfants. Elle laisserait un
message à ses collègues de travail, les informant qu’elle devait prolonger son séjour en France.
En revenant sur ses pas, Camille commença à penser à sa vengeance : il lui fallait un plan, un plan en
trois actes, un pour chacune de celles qui se déclaraient hier encore, ses amies.
I - Londres, une semaine auparavant
Camille se réjouissait de passer ces quelques jours de vacances avec Pauline, Jade et Lilia. Elles
s’étaient rencontrées à la fac de droit et quinze ans plus tard leur amitié n’avait jamais failli. À la fin
de leurs études, elles s’étaient promis de se donner rendez-vous chaque année pour un long week-end
estival. Ce serment avait pris la forme d’un contrat dont les termes principaux étaient les suivants : les
quatre amies se verraient une seule fois par an, toutes les quatre seulement, elles ne communiqueraient
les unes avec les autres que pour l’organisation de leur rencontre annuelle, jamais elles ne rencontre-
raient les conjoints de leurs amies, dont elles ne connaîtraient pas les noms, la règle serait identique
pour les enfants à naître. Ce pacte d’amitié qu’elles avaient toutes les quatre signé, devait les préserver
de tous les risques : les partenaires que l’on n’apprécie pas – ou que l’on apprécie trop, les enfants que
l’on trouve mal élevés, la routine amicale qui s’installe au fil du temps. Elles avaient plaisir à comparer
cet engagement à une expérience scientifique visant à vérifier que leur amitié demeurerait intacte au
fil des années, vivace comme au premier jour. La sanction infligée à qui romprait le pacte n’avait pas
été évoquée, mais pour chacune d’entre elles, il était clair qu’elle ne pouvait qu’être redoutable.
Chacune des amies recevait les trois autres à tour de rôle. Cette année, Lilia les accueillait à Fontaine-
bleau. Elle avait envoyé sa petite famille chez ses beaux-parents, à l’autre bout de la France, disposant
ainsi de l’ensemble de la maison. Comme d’habitude, elle avait pris la précaution de mettre sous clé
toutes les photos et les papiers de famille. C’était la première fois que Camille venait dans la maison
que Lilia habitait depuis son mariage. Son amie lui avait demandé d’apporter des chaussures de marche
- une randonnée était au programme - et un maillot de bain pour profiter de la piscine et du bain à
remous. La Londonienne se réjouissait de quitter son petit appartement pour la campagne.
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