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pain dans le café, balayait les miettes d’un revers de sa grosse main calleuse, se
roulait à même la table une cigarette de tabac brun, enfilait son pardessus et lui
adressait un gentil sourire en guise d’au-revoir. Elle restait sur le seuil de la porte
d’entrée, le regardant s’éloigner dans la nuit, vers les profondeurs des galeries
d’exploitation minière. Puis il fallait s’occuper de ses cinq frères et sœurs et les
conduire à l’école, tandis que sa mère rejoignait l’atelier de confection textile. Le soir,
après les avoir aidé à faire leurs devoirs, elle secondait sa mère pour préparer le repas,
coudre, raccommoder ou broder des commandes à domicile qu’elle acceptait pour
arrondir les fins de mois. Elle se couchait souvent en même temps que ses parents,
harassée, sombrant dans un sommeil de plomb que seules les cloches du réveil
mécanique parvenaient à interrompre. Cet emploi du temps prolifique ne lui permit pas
de passer son certificat d’étude. Gisèle n’en était pour autant pas stupide ni dénuée
de savoirs faires.
Au printemps, sa bonne humeur prit le dessus et l’impatience grandit en elle
peu à peu. Les courriers échangés entre les filles avaient entretenu leurs souvenirs et
adouci le quotidien de Gisèle. Puis vint l’été. La date du séjour thermal approchait à
grands pas. Elle allait revoir ses meilleures amies. Dans leur dernière lettre, elles lui
confirmaient leur arrivée comme convenu. Elle apprit également dans ce courrier que
leur père avait acheté la maison qu’ils louaient les années précédentes, pour disposer
d’un pied à terre. Florence et Sabine étaient ravies. La famille Senelonge pourrait ainsi
aller à loisir en bord de mer. Elles promettaient à Gisèle de l’inviter également, afin de
se voir plus souvent. Gisèle lut et relut maintes fois ce courrier tant les promesses qu’il
contenait la mettaient en joie.
Lorsqu’elle arriva à Berck, Gisèle défit à la hâte sa valise, rangea ses affaires
et courut à perdre haleine jusqu’à la plage. De nombreux vacanciers s’y trouvaient
déjà, allongés sur le sable, nageant ou se promenant le long de la grève. Les cris
d’enfants se mêlaient aux cris des oiseaux de mer. Dans le ciel virevoltait un cerf-
volant. Elle plissa les yeux pour se protéger du soleil et s’avança vers la zone où elles
avaient l’habitude de se retrouver, l’année précédente. Lorsqu’elle vit revenir vers leur
serviette les deux sœurs, le cœur de Gisèle s’emballa. Elle courut en les appelant. Les
trois jeunes filles s’embrassèrent, chacune posant à l’autre un millier de questions, si
bien qu’elles ne s’entendaient plus parler et finirent par éclater de rire. Elles se
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