Page 314 - tmp
P. 314

Entre les jeunes femmes, les relations se dégradèrent par petites touches, comme

               autant de petits accros qui, observés un à un, demeurent insignifiants mais au final
               rendent le tissu de la vie fragile et prêt à se déchirer.


                  La charge de travail de Gisèle s’accentua et les moments de loisirs furent réduits à
               peau de chagrin. Il en fut de même pour les sorties du dimanche après-midi. Petit à

               petit, les jumelles s’adressèrent à elle de façon moins amicale, plus détachée, parfois
               dédaigneusement.


                  Ce  fut  Madame  Senelonge  qui  lui  fit  clairement  comprendre  que  les  moments

               d’insouciances touchaient à leur fin, lors d’un repas dominical, en rappelant à Gisèle
               sa place de domestique et non de troisième de leur fille. A compte de ce jour, les

               jumelles furent de moins en moins complices avec elle et en quelques mois la traitèrent
               davantage  comme  leur  domestique  plutôt  que  l’amie  qu’elle  avait  été.  Gisèle  en

               éprouva de l’amertume et ses sanglots nocturnes mirent longtemps à s’apaiser.


                  Le coup de grâce fut donné à Gisèle l’été suivant. Léonie étant devenue trop âgée
               pour tenir seule la maison, Gisèle demeura avec elle lorsque les jumelles partirent en

               bord de mer. Néanmoins, elle fut obligée d’aller la veille à la maison de Berck pour
               l’aérer, garnir le garde-manger, préparer les couchages et tout mettre en ordre pour

               que le séjour des jumelles soit le plus confortable possible, avant de repartir à Paris le
               cœur gros.


                  Lorsque les jumelles rentrèrent de leur séjour, Gisèle fut obligée d’écouter et de

               s’enthousiasmer des anecdotes qu’elles partagèrent avec leurs parents. Elle pleura
               beaucoup cette nuit-là. Quelques semaines plus tard, lorsqu’elle accompagna toute la

               faille à Berck, elle put enfin profiter un tout petit peu du bord de mer. Mais elle fut
               obligée de rester à sa place de domestique, tandis que les jumelles fréquentaient le

               gratin des jeunes gens fortunés. Elle se contentait de grappiller quelques instants pour

               se promener seule le long de la plage. Le temps de l’insouciance était fini pour Gisèle
               tandis qu’il se poursuivait pour les jumelles.


                  Pendant deux ans, Gisèle put profiter du bord de mer de façon épisodique. La veille
               des séjours des jumelles, elle se rendait à Berck où elle disposait de la maison de

               vacances pour elle toute seule, aérant, frottant, époussetant la belle endormie pour les

               beaux jours d’été. Elle se laissait à penser qu’elle en était la propriétaire et que rien ni
               personne ne pourrait lui ôter ce plaisir éphémère. Puis pendant le séjour familial, quand


                                                                                                         7
   309   310   311   312   313   314   315   316   317   318   319