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occupait la seconde chambre de l’étage mansardé. Ce fut elle qui lui fit part des
habitudes des Senelonge et de ce qu’on attendait d’elle. Malgré cela, au début, rien
n’allait comme il faut et Madame Senelonge la houspillait à la moindre occasion, son
époux ne lui accordant aucune attention. Lorsqu’elle en fit part à Léonie, celle-ci lui
répondit sur le ton de la confidence :
- C’est pas plus mal, crois moi. La précédente était au goût de Monsieur et a fini
avec une brioche dans le four. Jetée dehors comme une malpropre !
Gisèle ne comprenait en quoi cela justifiait de se faire renvoyer. A moins d’avoir
laissé brûler la brioche ? Devant son air interrogatif, Léonie insista :
- Il lui a mis un moussaillon dans la cale, un polichinelle dans le tiroir, lui a refilé
une maladie de neuf mois. Non, toujours pas ? Il l’a mise encloque ! Et Madame
l’a jetée dehors aussi sec qu’elle l’a su. Elle faisait pas l’affaire, qu’elle a répété
à toute ses amies. A elle non, mais à Monsieur oui, elle faisait bien l’affaire.
La bouche de Gisèle s’arrondit, formant un Oh muet, lorsqu’elle comprit l’allusion.
Face à son air médusé, Léonie hocha la tête, fit un signe de croix et retourna à son
ouvrage.
Gisèle travaillait dur, sans jamais se plaindre, les moments passés avec les
jumelles compensant les heures d’un labeur auquel elle était accoutumée. Son jour
préféré demeurait le dimanche, quand elle accompagnait les Senelonge à la messe,
tout en restant au fond de l’église avec les autres domestiques. L’après-midi, les trois
amies déambulaient dans les parcs de la capitale, flânaient, mangeaient des friandises
et rentraient pour cinq heures, Gisèle devant préparer le repas du soir et accomplir les
tâches ménagères que Madame Senelonge ne manquait pas de lui trouver.
Pour leur dix-huit ans, les jumelles reçurent l’autorisation de disposer à leur guise
de la maison du bord de mer. Elles pouvaient y aller quand elles en avaient envie et
emmener Gisèle avec elles. Mais pour la domestique, ces séjours qu’elle imaginait
idylliques, ne firent que reproduire son quotidien. L’immense joie d’être toutes les trois
ensembles fut quelque peu érodée par les tâches domestiques que Gisèle assumait
seule. Les jumelles vivaient comme des princesses et n’aidaient en rien la domestique.
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