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pas bien. Depuis deux ans déjà, depuis la puberté, mais elle ne comprend pas ce qui lui arrive.
Elle ne va pas bien mais a de très bonne notes, joue au basket en compétition avec talent, a des
amis filles et garçons, avec qui elle discute et s’amuse, pas moins bien que les autres, n’est pas en
conflit avec ses parents qui sont très cools. Très gourmande quand elle était enfant, elle mange de
moins en moins – sa famille pense peut-être qu’elle surveille sa ligne comme beaucoup de jeunes
filles. Gagnée par l’angoisse quand elle est seule. Perdue dans le marasme de son mal-être,
démunie et effrayée par la force de ce qui la touche dans son intimité, elle n’exprime pas son
amour. Elle le rêve. Elle met sur papier une histoire qu’elle invente, jour après jour, entre Elise
qu’elle appelle Marie et un garçon, Matthieu qui est son double. Elle imagine de longues
promenades main dans la main, d’interminables conversations, des mots tendres, des gestes doux.
Mathilde ouvrit les yeux comme pour saisir ce qui avait mis son esprit sans dessus
dessous. Chamboulée par l’émotion provoquée par cette rencontre avec Elise et irritée par le
comportement de ses amies. Peut-être parce qu’elle était plongée dans le souvenir de cet amour
fantasmé, la pureté et l’intensité de ses sentiments d’adolescente soulignaient à gros traits la
petitesse de ses amies. Leurs paroles résonnaient en boucle.
“Alors tu nous fais des cachotteries, tu es homo et tu ne nous le dis pas. Raconte, on est tes amies
ou pas ? On veut tout savoir. C’est comment entre filles ? Plus tendre ? Plus simple ? Arrêtez les
filles, laissez la tranquille. C’est pas cool, vos questions déplacées. Oh là, qu’est-ce qui te prend ?
On est entre copines, on a bien le droit de parler”.
Elle n’avait pas répondu. Avait eu du mal à esquisser un sourire à Marion qui l’avait protégée. Ca
s’était passé dès le soir de leur arrivée. Devaient être impatientes, les copines de l’alpaguer sur
cette question !
L’estomac noué, elle n’avait rien avalé de tout le dîner. “Qu’est-ce que t’as, tu boudes ?”. Pour ne
pas aggraver le malaise, elle était restée à table malgré une douleur au ventre qu’elle connaissait
bien. Ses amies l’avaient vite oubliée et son mutisme était, semble-t-il, passé inaperçu. Les avait
entendues plus qu’écoutées, comme en bruit de fond, bavarder à bâtons rompus, dans une
ambiance détendue, moult plaisanteries fusant au gré des sujets. Anne avait raconté avec force
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