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wagon, suivi de deux autres garçons. Ils vont probablement au wagon-bar, pensais-je. Je pris mon sac

            et mon manteau et je les suivis. Je m’installai, non loin d’eux et commandai un café.


            -Eh, Madame ! Pourquoi vous me regardez comme ça depuis tout à l’heure ?
            -Euh, bonjour, euh,  c’est  parce que… j’ai  un fils  qui  vous  ressemble beaucoup, mentis-je  au jeune

            « Nicolas ». C’est très troublant !
            -Ah ! J’ai un sosie ? Et comment s’appelle votre fils ? Il a quel âge ?

            -Lucas, répondis-je en pensant au prénom du fils de Lucie. Il a 20 ans.
            -Moi, c’est Léo, 22 ans, lui, c’est mon pote Kévin et là, c’est Maël, mon demi-frère, mais on ne se

            ressemble pas trop. Moi, il paraît que je ressemble à mon père mais je ne l’ai pas connu. Il est mort

            avant ma naissance. Un accident. C’était un soir de réveillon, il est tombé sur la tête, trauma crânien et
            il  est  mort  sur  le  coup !  Ma  mère,  elle  était  étudiante  à  Brest  et  ne  savait  même  pas  qu’elle  était

            enceinte quand c’est arrivé. Elle s’en est aperçue juste après.
            -Oh, c’est  très triste. Je  suis réellement désolée  pour vous,  dis-je en essayant  de raffermir ma voix

            autant que possible car je sentais une boule énorme monter dans ma gorge…

            -Faut pas être désolée, Madame, c’est comme ça et je n’ai pas manqué d’amour ! Au fait, votre fils, il
            est doué en maths ?

            -Euh, non pas trop, lui, ce sont les sciences qu’il préfère. Pourquoi ?
            -Parce qu’avoir un sosie pour aller passer les partiels de maths à ma place, la semaine prochaine, cela

            m’aurait bien rendu service ! éclata-t-il de rire.

            Ils se levèrent en me saluant d’un « au revoir et bonne année Madame ! »

            Je restais seule, complètement ébranlée par les révélations du jeune homme. Ainsi Nicolas était mort

            mais d’une certaine façon, il continuait à vivre à travers ce fils, fruit de son  amour pour une autre
            femme. Son fils Léo, dont je venais de faire la connaissance, bien vivant et heureux malgré tout.


            Les premiers immeubles de Rennes défilèrent devant la vitre. Sofia se leva et songea en récupérant sa
            valise que la vie réservait parfois de bonnes surprises et que le maillon d’une génération à une autre

            pouvait être maintenu, même commencé dans le malheur.

            Quant à toi, pauvre Sofia, que vas-tu transmettre ? Que restera-t-il de toi et de ta vie quand tu auras
            disparu ? Un secret, aussi lourd soit-il, ne doit pas empêcher d’aimer et de vivre.


            En descendant  les marches du train,  souriante,  elle  énuméra intérieurement  ses  résolutions  urgentes
            pour 2023 : téléphoner à Simon pour s’excuser et lui dire qu’elle revenait à la maison, reprendre leur

            projet d’adoption, changer de date pour revoir ses amies et s’autoriser –enfin !- le droit au bonheur.









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