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La bulle venait d’éclater. Ses amies avaient touché à l’intouchable, sa vie intime. Ses

               amies l’avaient blessée. Comment avaient-elles appris son homosexualité était un mystère qui ne

               la préoccupait pas. Son homosexualité ne lui importait pas en vérité. Elle avait eu quelques
               histoires sans suite, cachées, jamais de relations sérieuses. Ce qui prenait toute la place dans sa

               vie, qui l’envahissait, c’était son mal-être de plus en plus profond. L’anorexie, puis les deux
               tentatives de suicide, en première année de Centrale Lyon, qui avaient nécessité des

               hospitalisations de longue durée étaient loin, mais elle prenait toujours des anti-dépresseurs, se

               tenait maintenant à l’écart des gens, tout au plus participait-elle à quelques soirées organisées par
               Emeline et Sonia, qui vivaient en couple, avec qui elle pouvait passer un moment quand ça

               n’allait pas trop mal. Elle continuait à taire sa souffrance à ses proches et pourtant, après avoir
               longtemps donner le change, elle n’en pouvait plus.

               D’être en décalage, à distance des autres, et de ne pas être elle-même à part entière.











                           A la gare de Vernon, un homme d’une trentaine d’années s’assit à ses côtés. Au bout
               de quelques minutes, il engagea la conversation. Elle l’écouta et comprit qu’il la draguait.

               — Je ne suis pas attirée par les hommes, dit-elle, du bout des lèvres.

               Il attendit un instant avant de lui demander avec délicatesse si elle était en couple. Et
               étonnamment elle lui répondit

               — Non, et vous ?
               — Je suis accompagné d’une femme merveilleuse et nous avons un enfant d’un an.

               Encouragée peut-être par la réponse et l’expression de douceur de son voisin, elle se confia

               comme seulement on peut le faire avec des inconnus. Et c’est sans préambule qu’elle livra sa vie
               personnelle, en un flot de paroles brutes qui se déversa car il l’écouta sans l’interrompre.

               — Je ne suis pas lesbienne pour autant. Je ne suis pas vraiment femme. Je ne sais pas ce que je
               suis. T’as vu à quoi je ressemble ? Je peux te tutoyer ? Androgyne. Je ne fais pas exprès, j’ai

               connu un épisode d’anorexie, j’ai pas retrouvé mes formes féminines, pas de seins, pas de fesses,

               hanches étroites. C’est bien puisque je ne me sens pas femme. Je me sens plutôt homme. Mais





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