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Sentant l’orage de l’amitié contrariée approcher, les pères emmenèrent stratégiquement les plus petits

            des enfants faire une petite promenade du côté des ânes… Quant aux ados, ils partirent s’enfermer dans
            une chambre avec leurs portables.


            Rentrée  dans  la  maison  et  assise  devant  une  tasse  de  thé,  je  contre-attaquais  face  à  mes  amies,  au

            regard inquiet et désapprobateur.
            -Ce qui ne va pas ? Mais vous le savez, bon sang ! C’est ma vie, c’est ma vie actuelle qui est victime

            de mon passé… Vous croyez que j’ai tout surmonté ? Il m’est arrivé tant de choses en quelques mois,
            c’est là, gravé en moi. Vous pensez que je suis légitime pour être mère ? Eh bien non, j’ai peur, j’ai

            peur de m’engager, de trop aimer, d’avoir peur pour mon enfant…


            -Mais tu ne crois pas que c’est un peu égoïste tout ça ? fit remarquer Laure. Tu crois que cela a été plus
            facile pour nous ? On a souffert aussi, mais pour t’apporter tout le soutien dont tu avais besoin, on s’est

            blindées, on a pris sur nous. Tu ne le sais pas, mais j’ai suivi une thérapie pendant cinq ans avant de
            refaire des nuits sans cauchemars permanents.

            -Et puis, s’exclama Lucie, tu crois que l’on n’a pas peur pour nos enfants, nous ? Mais Aimer, c’est

            avoir peur, Aimer, c’est parfois souffrir. Cela va de pair ! Mon Lucas de 16 ans nous a demandé pour
            la première fois d’aller réveillonner avec ses amis du lycée pour le nouvel an. C’est à un petit kilomètre

            de  la  maison,  et  même si  je  ne  suis  pas  complètement  tranquille,  je  dois  lui  faire  confiance…  S’il
            n’oublie pas, il m’enverra un petit texto dans la nuit.

            -En fait,  reprit Claire, tu as peur de ce que tu  ne peux pas  maîtriser.  On peut  essayer de contrôler
            l’amour que l’on donne, mais celui qu’on reçoit, c’est impossible et pourtant c’est le plus beau ! Il est

            temps de tourner la page, Sofia, et de te laisser aller au bonheur. Fais-le pour toi, pour Simon, pour

            l’enfant que vous adopterez et pour nous. Fais-le pour conjurer le sort de notre nuit tragique.

            Je restais silencieuse, bouleversée par les paroles de mes amies et profondément contrariée aussi car je

            comprenais  que  si  je  restais  dans  mon  statu  quo  actuel,  je  perdrais  leur  amitié  et  notre  secret,  si
            vaillamment gardé jusqu’ici, volerait en éclat. Je devais changer l’ordre de mes priorités. Ce qui était ni

            facile à accepter, ni facile à réaliser en peu de temps. Pendant le reste de mon séjour, je me suis mise en

            retrait,  songeuse,  imaginant  les  souffrances  et  les  résiliences  de  mes  amies  qui  s’ajoutaient  aux
            miennes. J’étais mal à l’aise. Si j’avais eu ma voiture, je crois que je serai repartie très vite. J’ai bien

            essayé de changer mon train du retour via internet, mais aucune place n’était disponible.

            De  leur  côté,  accaparées  par  la  fête  et  leurs  familles,  elles  n’avaient  guère  reparlé  avec  moi  et

            m’avaient laissée ruminer mon mal-être. Les retrouvailles du 31 avaient-elles encore un sens ?

              er
            1  janvier 2023, 16h, assise dans le train, les yeux mi-clos comme pour mieux garder mes derniers
            souvenirs, je sentais la somnolence s’installer. Soudain, je vis « Nicolas Junior » se lever et sortir du



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