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En rentrant dans la maison, nous avons tendu l’oreille. Rien, juste quelques ronflements du côté de la

            chambre des garçons. Et pourtant, que de choses s’étaient passées depuis qu’ils s’étaient couchés ! Nuit
            agitée, les yeux ouverts dans le noir, des frissons, des pleurs silencieux, des moments

            d’assoupissement. Soudain, je fus  réveillée par un cri ! C’était Antoine qui, croyant rejoindre son

            copain Nicolas pour le petit déjeuner (son lit étant défait) venait d’apercevoir son corps dehors par la
            fenêtre. Il était 11 heures du matin.


            Le lendemain, le journal  local titrait au milieu d’autres faits-divers :


                           PLOBANNALEC-LESCONIL.   TRAGIQUE ACCIDENT DU NOUVEL AN.

                           UN JEUNE HOMME DE 21 ANS SE TUE EN CHUTANT DANS UN ESCALIER.

            Dans l’article, l’heure de la mort était évaluée entre quatre et cinq heures du matin. Il était question

            d’un taux d’alcoolémie  assez  élevé  (la précédente soirée de réveillon  pouvait l’expliquer)  mais  pas
            assez pour justifier une perte de connaissance susceptible d’entraîner une pareille chute. Pas de trace de

            consommation  de  drogue, pas  d’antécédents  médicaux connus. La thèse du suicide était  écartée. Le

            mystère demeurait donc entier sur les circonstances du décès.

            L’inspecteur  chargé  de  l’enquête  avait  pourtant  remarqué  un  détail.  Si  le  jeune  homme  avait  bien

            revêtu sa veste pour aller dehors, il avait la braguette de son pantalon ouverte et cela ne pouvait être
            une conséquence de sa chute. L’un des garçons avait alors parlé du fait qu’ils allaient parfois uriner

            dehors. « S’il est mort à cause de ça, avait conclu l’inspecteur, c’est vraiment le cas le plus triste et le
            plus absurde que je n’ai jamais eu à traiter… »


            Nous ne sommes pas allées à l’enterrement de Nicolas trois jours après le drame. Nous n’en avions pas

            la force, ni mentale, ni physique. Nous avons écrit une lettre à ses parents pour leur dire combien nous
            avions apprécié de connaître leur fils pendant ces quelques jours avant le drame. Ils ne nous ont jamais

            répondu, sans doute persuadés que c’était de notre faute, que nous n’avions pas su gérer cette soirée.
            Quant à Antoine, Clément et Paul, nous avons essayé de les recontacter un peu plus tard au téléphone.

            Mais la mort de leur ami était si douloureuse à vivre qu’elle avait éclipsée tous les bons moments que

            nous avions passés ensemble. Nous n’arrivions plus à communiquer.

            Je ne sais pas vraiment comment nous avons trouvé le courage de retourner à la fac, de reprendre le fil

            de nos cours et de passer nos examens. Nous nous sommes lancées à fond dans le travail, cela nous
            aidait  à  ne  pas  penser  et  à  ne  pas  nous  appesantir  sur  ce  qui  s’était  passé…  Notre  amitié  s’était

            renforcée :  comme  nous  habitions  le  même  appartement,  dès  que  l’une  flanchait  un  peu,  les  autres

            s’empressaient de la soutenir.

            Fin février, je m’aperçus que je n’avais plus eu mes règles depuis quelques temps. Test de grossesse.

            Positif. Le ciel, une nouvelle fois, me tombait sur la tête. Que faire ?
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