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reprenaient peu à peu. Seule Julia était encore entourée par les soldats. Le jeune lieutenant lui
demanda de se lever et de les suivre.
Elle se retrouva debout dans un couloir, dans une annexe du Ministère des Libertés Publiques
et de l’Émancipation : il n’y avait rien pour s’asseoir, et elle avait perdu toute notion du temps
- on lui avait confisqué sa montre à l’arrivée, avec tous ses effets personnels. A chaque extrémité
du couloir, un soldat montait la garde, assis sur une chaise, un M16 posé en travers de ses
jambes largement écartées. Finalement, une porte s’ouvrit, et un homme au sourire engageant
l’invita à entrer dans une pièce sommairement meublée. Il la pria de s’asseoir sur une chaise un
peu bancale, tandis que lui-même prenait place dans un confortable fauteuil, de l’autre côté
d’un bureau surchargé de dossiers.
- Alors, vous êtes… Julia. Vous permettez que je vous appelle Julia ? Bon, on a été un
peu durs avec vous, hein… Commença-t-il en souriant.
Julia ne répondit rien.
- J’ai ici votre dossier, poursuivit-il en ouvrant une chemise plastifiée, d’une surprenante
épaisseur. Vous n’avez pas d’antécédent judiciaire, je suppose que votre transpondeur
s’est simplement désactivé, cela arrive parfois. En revanche, je vois que vous avez
quarante-huit ans, et que vous n’êtes toujours pas opérée…
- Je ne fais pas partie des catégories concernées, répondit Julia, peut-être un peu trop
sèchement.
Elle connaissait parfaitement ses droits : l’Exérèse Complète Préventive des Ovaires et des
Seins, (également appelée ECPOS, rien de tel qu’un petit sigle pour édulcorer le réel), n’était
effectivement obligatoire que pour deux catégories de femmes : celles porteuses d’un gène
prédisposant au cancer du sein – on en découvrait de nouveaux chaque année, et celles dont
deux parentes au moins en avaient été affectées, en remontant sur trois générations. Les femmes
porteuses, ou a fortiori souffrant d’une maladie génétique, aussi bénigne soit-elle, étaient
seulement stérilisées. Julia ne rentrait dans aucune de ces catégories. Alors évidemment, elle
n’avait pas eu d’enfant, n’avait donc jamais allaité, s’était mise à fumer à la fin de sa carrière
sportive, n’avait pas lésiné sur l’alcool à certaines périodes de sa vie, et avait pris pendant des
années des contraceptifs oraux, du temps où ceux-ci étaient encore autorisés. Refuser l’ECPOS,
à son âge et dans ces conditions, constituait un véritable outrage envers les autorités sanitaires
!
- Certes, certes, reprit le fonctionnaire en feuilletant distraitement son dossier. Mais vous
cumulez les facteurs de risque. Or vous connaissez les chiffres, on les a assez entendus
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