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– Bonjour mon petit. Yann. Tu t’appelles bien Yann? Je me souviens de toi, à l’école, tu étais plutôt
malingre, pourtant à la cantine qu’est ce que tu pouvais manger ! Toi, je t’aimais bien. Tu portais
un short été comme hiver et tu avais des jambes comme des allumettes, tu n’as pas changé !
– Pardon ?
– Ben oui mon petit, je t’ai reconnu. Tu vas toujours à la pêche avec ton père ? Tu le salueras pour
moi, ce brave homme ! Qu’est ce qu’il est gentil, tu lui diras qu’il peut m’apporter un ou deux
poissons, c’est bon à la santé, tu sais...
Je ne comprenais rien, sauf que je n’allais pas la contrarier !
Je la vis glisser sa main sous la banquette en bois. Elle n’y trouva rien. Déconfite, elle regarda
ses mains vides. Pourtant elle était certaine de l’avoir caché là, son carnet intime, plein de ses
secrets ! Que sa mère avait découvert. Cette mère curieuse de tout, surtout de ce qui ne la regardait
pas ! Ce jour là, elles s’étaient drôlement écharpées entre mère et fille. Le carnet avait alors quitté le
dessous de son oreiller, tissu à motifs bleus et jaunes, pour être planqué ici, dans ce train, sous la
banquette, où chaque jour elle posait ses folles envies ou sa mélancolie.
Elle plongea à nouveau sa main sous la banquette, puis s’agita vivement, revivant la scène dans
la cuisine familiale. Brusquement, elle se redressa, pas seulement en colère, mais tel un animal
blessé, elle était carrément enragée. Elle avait jeté son bol de potage vers « Mamig », qui lui avait
retourné une claque avec une violence insoupçonnée.
Je l’ai vue, tête choquée, projetée vers l’arrière. Comme si cela venait d’arriver. Elle m’a
regardé. Tout se lisait dans son regard qui avait viré au gris, au noir. Elle s’est mise à crier dans le
train
– Mon petit, tu te rends compte, tous mes secrets, toutes mes envies, mes amours dévoilées. Quelle
honte ! Honte à Mamig ! Mon petit, ce jour là ma mère a prononcé la seule phrase qu’elle répétait
quand elle était à court d’arguments ; « tu vas voir ce que tu vas voir quand je vais le dire à
Tadig ». Eh oui, elle n’a même pas eu le courage de taire, de ne rien dire à ce père plus souvent en
mer ou au bistrot qu’à la maison. Tadig, Tadig. Tadig plus souvent ivre que père. Tadig plus
souvent marin solitaire que mari. Tadig, Tadig, comme les roues sur les rails.
Elle le voyait son calepin rose écussonné du drapeau noir et blanc de sa Bretagne ! Alors il fallait
qu’elle le retrouve.
Elle s’est agitée, retournée, me parlant en même temps, peut être qu’il est sous ce siège là…
Juste un peu plus loin, plutôt que celui sur lequel elle venait de s’asseoir. Elle m’a souri, a prononcé
quelques mots que je n’ai pas saisis. Elle s’est levée, difficilement, tanguant au dessus des
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