Page 120 - tmp
P. 120

– Bonjour mon petit. Yann. Tu t’appelles bien Yann? Je me souviens de toi, à l’école, tu étais plutôt

              malingre, pourtant à la cantine qu’est ce que tu pouvais manger ! Toi, je t’aimais bien. Tu portais
              un short été comme hiver et tu avais des jambes comme des allumettes, tu n’as pas changé !

            – Pardon ?

            – Ben oui mon petit, je t’ai reconnu. Tu vas toujours à la pêche avec ton père ? Tu le salueras pour

              moi, ce brave homme ! Qu’est ce qu’il est gentil, tu lui diras qu’il peut m’apporter un ou deux
              poissons, c’est bon à la santé, tu sais...

               Je ne comprenais rien, sauf que je n’allais pas la contrarier !

               Je la vis glisser sa main sous la banquette en bois. Elle n’y trouva rien. Déconfite, elle regarda

            ses mains vides. Pourtant elle était certaine de l’avoir caché là, son carnet intime, plein de ses
            secrets ! Que sa mère avait découvert. Cette mère curieuse de tout, surtout de ce qui ne la regardait

            pas ! Ce jour là, elles s’étaient drôlement écharpées entre mère et fille. Le carnet avait alors quitté le
            dessous de son oreiller, tissu à motifs bleus et jaunes, pour être planqué ici, dans ce train, sous la

            banquette, où chaque jour elle posait ses folles envies ou sa mélancolie.

               Elle plongea à nouveau sa main sous la banquette, puis s’agita vivement, revivant la scène dans

            la cuisine familiale. Brusquement, elle se redressa, pas seulement en colère, mais tel un animal
            blessé, elle était carrément enragée. Elle avait jeté son bol de potage vers « Mamig », qui lui avait

            retourné une claque avec une violence insoupçonnée.

               Je l’ai vue, tête  choquée, projetée vers l’arrière. Comme si cela venait d’arriver. Elle m’a
            regardé. Tout se lisait dans son regard qui avait viré au gris, au noir. Elle s’est mise à crier  dans le

            train

            – Mon petit, tu te rends compte, tous mes secrets, toutes mes envies, mes amours dévoilées. Quelle
              honte ! Honte à Mamig ! Mon petit, ce jour là ma mère a prononcé la seule phrase qu’elle répétait

              quand elle était à court  d’arguments ; « tu vas voir ce que tu vas voir quand je vais le dire à

              Tadig ». Eh oui, elle n’a même pas eu le courage de taire, de ne rien dire à ce père plus souvent en
              mer ou au bistrot qu’à  la maison.  Tadig,  Tadig.  Tadig plus souvent ivre que père.  Tadig plus

              souvent marin solitaire que mari. Tadig, Tadig, comme les roues sur les rails.

               Elle le voyait son calepin rose écussonné du drapeau noir et blanc de sa Bretagne ! Alors il fallait
            qu’elle le retrouve.

               Elle s’est agitée, retournée, me parlant en même temps, peut être qu’il est sous ce siège là…

            Juste un peu plus loin, plutôt que celui sur lequel elle venait de s’asseoir. Elle m’a souri, a prononcé
            quelques mots que je  n’ai pas saisis. Elle s’est levée, difficilement, tanguant au dessus des




                                                          2 / 5
   115   116   117   118   119   120   121   122   123   124   125