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aiguillages, pour se rasseoir à quelques pas de là. Sa main est partie automatiquement, vers le
dessous de la banquette, quelque chose de dur semblait y être scotché, elle ne pouvait plus plier ses
jambes mais, en se contorsionnant, elle réussit l’exploit de récupérer son carnet rose.
En l’ouvrant, dès la première page, elle s’est mise à rire, retrouvant ses premiers mots écrits,
juste avant d’entrer au CP. Elle riait, riait. Puis elle a tourné les pages, une à une, se relisant sans
peine, redécouvrant ses commentaires sur ses amies, chacune avait droit à sa page, voire deux. Elles
étaient là, près d’elle… Elle se rappelait… A haute voix elle a commenté
– Victoire, que nous avions baptisée Victorine la Chopine, peu aimable, pas gentille, mais tellement
vraie. Victorine ne pouvait s’empêcher de boire, chaque matin, une ou deux bolées de cidre, pour
avoir les joues bien roses, signe de bonne santé, affirmait elle. Puis, un jour, elle goûta à
l’hydromel ! Ce fut le début de sa perdition. Boisson sucrée, au goût de miel, qu’elle avalait
comme de l’eau. Elle était à peine adolescente. Elle n’avait de cesse de rappeler que son médecin
avait dit à sa mère totalement désemparée « faut la faire boire, vous savez... ».
A nouveau, elle s’est adressée à moi
– Mon petit, Victorine la Chopine, ses joues étaient roses, comme tous les bébés joufflus, puis elles
sont devenues rouges, de plus en plus foncées, chaque veine apparente, gonflée, prête à craquer.
Un jour elle n’est plus venue à l’école, il paraît qu’elle était en soin, loin de sa famille, loin du
tonneau, peut être que ceci l’aura sauvée ?
Elle a tourné la page en disant « voilà quand même longtemps que je n’ai pas pris de ses
nouvelles... »
Elle a regardé par la fenêtre, le quai avait maintenant disparu. Bientôt elle apercevrait la maison
de Georges, ce coquin de gamin, qui l’avait plumée aux billes !
– Dis mon petit, tu lui ressembles un peu à ce Georges, lui aussi était mignon, pas tant que toi,
certes, mais il était toujours bien habillé, avec ses jolis souliers bleus, et sa mèche blonde dressée
vers le ciel, un peu Tintin. Sais tu que Georges m’a attirée dans un bosquet du parc pour
m’embrasser ! Tu peux le dire, c’était mon premier amoureux, nous avions six-sept ans ! Mais pas
mon premier amour, ça non ! Mon premier amour habitait deux maisons plus loin, il s’appelait
Patrick. Un vrai séducteur, avec ses lunettes de soleil cerclées, il avait toujours bonne mine et je
craquais pour son sourire sous le duvet de sa moustache naissante. Lorsque je l’ai croisé à Pont
l’Abbé, j’ai eu le coup de foudre. Mon petit, tu peux me croire, dès que nous avions rendez vous
je remontais parfaitement mes chaussettes, je ne supportais aucun pli disgracieux. Ma jupe à
carreaux était bien tendue. J’avais de beaux mollets, je le savais. Et je savais choisir mes souliers
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