Page 124 - tmp
P. 124
N° 19
DEUX MILLE QUATRE-VINGT-QUATRE
Elle attendait sur le quai. Elle repensait aux derniers jours passés avec celles qu’elle avait
considérées comme ses amies. Un malaise persistait en elle. Ses pensées furent interrompues
par l’arrivée du train. La porte s’ouvrit, elle mit un pied sur la première marche, leva la tête et
s’arrêta brusquement. Glenda et Meriem se tenaient dans le sas d’entrée, et la regardaient. Avec
hostilité pour l’une, appréhension pour l’autre.
***
Tout avait commencé trois mois plus tôt. Julia attendait tranquillement une amie dans un bar,
elles avaient prévu d’aller voir un film dans l’un des rares cinémas encore ouverts, quand la
patrouille était arrivée. Deux soldats s’étaient postés à chacune des issues, les autres avaient
commencé à contrôler les clients, passeports et puces électroniques. L’un des militaires était
équipé d’un lecteur, qu’il passait dans le dos des personnes présentes. Le transpondeur était
généralement implanté entre les omoplates, pour que les gens n’aient pas le réflexe de se gratter
et en arrivent, à force, à l’abimer, voire le retirer. En se contorsionnant, Julia arrivait parfois à
le sentir du bout des doigts, roulant sous la peau de son dos. Le soldat circulait entre les tables :
un bip retentissait à chaque fois que le lecteur détectait une puce et que les principales
informations du porteur, identité, opinions politiques, particularités génétiques… s’affichaient
sur l’écran ; les dossiers médicaux complets n’étaient consultables qu’avec un autre type de
scanner, réservé aux hôpitaux et aux services de sécurité.
Le soldat était maintenant derrière Julia. Il lui balayait toute la surface du dos avec son lecteur,
mais celui-ci restait obstinément silencieux. Un jeune lieutenant vint se placer devant elle et lui
demanda si elle avait retiré son transpondeur, ou si elle l’avait désactivé d’une façon ou d’une
autre. Elle répondit que non. Seule assise au milieu des hommes debout, la situation était
franchement inconfortable. Le jeune lieutenant contrôla son passeport, regarda sa poitrine, et
lui demanda en rougissant si elle était opérée. Il avait l’âge d’être son fils ; elle eut envie de
répliquer qu’il n’avait qu’à vérifier par lui-même, mais elle se dit qu’il valait mieux faire profil
bas et répondit simplement que non. Son amie était arrivée dans l’intervalle : elle avait vu les
soldats à temps, et lui avait juste fait un petit signe à travers la vitre avant de s’éloigner. Le
contrôle touchait à sa fin. Dans la salle, le soulagement était palpable, les conversations
1

