Page 18 - affiche-plume-2020.indd
P. 18
N° 94 Et si on levait l'Ancre ?
Elle avait eu maintes fois l'occasion d'être appelée pour des soins urgents au 32, avenue du
manoir, 5ème étage, porte gauche.
Mais ce matin-là, fatiguée par une nuit d'insomnie, elle s'arrêta au 4ème étage, et frappa
porte gauche.
À peine s'était-elle aperçue de son erreur, qu'une voix résonna dans la pièce du fond : «
Enfin ! Je vous attendais ».
La porte s’ouvrit dans un bruit sourd, laissant apparaître un fragment d’appartement mal
éclairé. L’entretien de l’endroit laissait à désirer. Talia allait se confondre en excuse, refermer
la porte et rebrousser chemin lorsque la voix masculine retentit à nouveau :
- Allons Mademoiselle Talia, rentrez-donc mon petit, je ne vais pas vous manger.
Comment connaissait-il son nom ? Elle n’avait pourtant jamais mis les pieds à cet étage, et
encore moins dans cet appartement. Timidement, elle entra, avançant à tâtons dans ce qui
semblait être un petit sas menant à la pièce de vie. Une faible odeur de renfermé et de café
oublié traînait dans l’air. Talia arriva enfin dans ce qui ressemblait le plus à un salon. Une
vieille télé poussiéreuse trainait dans un coin, et semblait ne pas avoir été allumée depuis des
lustres. Des cadres-photos dont le temps avait effacé les visages étaient suspendu de part et
d’autre de la pièce. Un gouvernail était exposé fièrement sur le mur éclairé par la petite
fenêtre, vieux trophée décoré de petites mouettes à l’encre de chine. Ses yeux se posèrent
enfin sur le vieil homme, assis dans un grand fauteuil marron glacé. Alors qu’il semblait la
reconnaître au premier coup d’œil quand elle s’arrêta devant lui, elle était pourtant sûre de ne
l’avoir jamais rencontré. Il ressemblait un peu à un marin échoué dans son salon. Une méduse
grise de cheveux, emmêlée avec sa barbe imposante, lui cachait une grande partie. Sa
couverture arrondie laissait deviner un ventre assez corpulent, contrastant cependant avec les
creux qui se formaient au niveau de ses joues. Sa peau était d’une pâleur préoccupante. Elle
remarqua les différentes machines qui étaient reliées au corps de l’homme, le maintenant
peut-être en vie. Il semblait avoir des difficultés à respirer. Les différents bips sonores des
machines comblaient le silence qui s’était installé entre les deux inconnus. La seule chose qui
persuadait Talia que le vieil homme était en vie, c’était ses yeux. Ils portaient la vie, une lueur
saillante qui vous transperçait et détonnait avec le spectacle qu’offrait ce corps harnaché par
la médecine. La jeune infirmière se demanda si c’était vraiment ce bout d’homme qui l’avait
1