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N° 93                                  L’ ECHO
            vous en, vous m’avez fait peur » fit, dans le noir, une voix vacillante qu’elle reconnut comme la

            sienne. Elle venait de parler presque sans s’en rendre  compte. Elle retint son souffle.  Le monde
            voligeait dans sa course habituelle. Puis…puis, un raclement de chaise, et des pieds furieux…Elle se

            sentit glacée.
                 « je vais me débarrasser de vous une fois pour toute ! Vous en répondrez à la police ! » Elle

            poussa un hurlement suraigu. C’était bien la voix, la même voix, mais emplie d’une telle rage qu’elle
            perçait le silence avec un rugissement de scie. Elle se sentit trembler de tous ses membres. Oh, c’était

            fini. Elle était loin, maintenant. Ça ne lui ressemblait pas…ses mains tourbillonnaient…mais elle

            avait si peur, bien trop peur. Un sursaut lui déchira la vue. On tentait, devant, d’ouvrir la porte avec
            une fureur qui faisait tout trembler. Elle se jeta dans l’escalier à l’occasion du dernier sursaut de la

            serrure et dégringola les marches en hurlant. Elle se jugerait peut-être, quand elle aurait repris son
            ordre et sa dignité. Mais ses yeux pleuraient de terreur, et ses pieds couraient tout seuls, parce que son

            corps, lui, avait perdu toute force, comme une poupée de chiffon. « C’est le diable, c’est le diable ! »
            Ce fut la seule chose qu’on lui entendit avant qu’elle ne disparaisse.

                 Ismaël, qui lisait tranquillement dans le grand fauteuil rouge, vit avec surprise la porte s’ouvrir

            avec fracas et Esmé se précipiter à l’intérieur, échevelée, le regard d’une folle. Elle ne s’arrêta qu’une
            fois la porte fermée  à triple tour, puis brutalement s’effondra comme évanouie, pour pleurer de

            nervosité contre le mur.

               Jamais il ne l’avait vue dans un tel état. Lui, en comparaison, était le premier à pleurnicher. Esmé
            était un roc de rigueur et de sévérité. Elle ne pleurait, tout simplement, pas. Pourtant, c’était bien elle

            qui s’effondrait en sanglots le long du mur. Il ne savait pas franchement quoi faire. On ne consolait
            pas Esmé. On ne consolait pas un froncement de sourcil permanent. Ses réflexes psychologiques lui

            revinrent brusquement et il s’approcha de la pauvre forme qui tremblait. « Allons, Esmé, allons » fit-
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            il maladroitement. On ne savait jamais. Elle s’agita, comme prise de rage envers l’espace, se redressa

            en chancelant, puis put se relever, le long du mur, de toute sa silhouette d’araignée éperdue. Une

            présence lui paraissait à l’esprit. Elle n’avait plus la force d’avoir l’air  digne et solide. Seules ses
            mains tremblaient de nervosité, et sa peau avait blanchi, comme sous la gifle d’une terreur soudaine.

            Puis le choc reflua, elle s’en serait frappée, et la raison lui revint aux membres. Une réaction ridicule,
            lui souffle en balbutiant ce qui lui restait de raison, mais le coup avait été trop fort cette fois-ci pour

            qu’elle s’en remette d’un bon conseil. Elle renifla, se moucha dans sa manche. Une dureté de silex lui
            cingla le regard.  « Il  m’a répondu » gémit-elle dans un sursaut.  « Il m’a répondu, il m’a

            menacée…bon sang, vous ne me croyez pas ? » sa voix dérapait dans les aigus. « Vous ne me croyez

            pas ! » Elle pleurait sans le voir, les yeux fixes, la bouche exsangue. « Oui, bien sûr, vous n’avez rien
            entendu ! » Elle s’arracha à son ombre, se précipita au milieu de la pièce, cherchant désespérément du

            regard quelque chose qu’il ne pouvait voir. Elle lui faisait presque peur. Lui, debout dans son coin de
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