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N° 93                                  L’ ECHO
            porte, la regardait de ses yeux inquiets, et entendait à chaque seconde les miettes de raison se briser

            en pailletant. « Calmez-vous » l’intima-t-il, nerveux. « Ce n’est rien, un malentendu, vous l’avez dit
            vous-même…— Sa voix » bafouilla-t-elle, très loin d’ici. « Sa voix, sa voix. Horrible. Pitié. Non. Oh,

            bon sang… ! Vous auriez entendu sa voix…c’est le pire de tout. La pire chose…une voix horrible… »
            Elle tituba, se reprit sans le voir.  Il fit un pas de côté. Son souffle était court. Comme celui d’un

            animal blessé. Au milieu des mèches tentaculaires qui lui emprisonnaient la face, elle avait des yeux
            blanchâtres, laiteux, et une terreur sans nom y jetait ses éclaboussures. C’était ridicule, mais c’était

            ainsi. Il y avait eu bien trop, pas seulement la nervosité. Tout s’était empilé sans rien dire comme une

            tour branlante de cubes d’enfants, et la chute avait tout saccagé. Pas de quoi rire. « Allons » l’intima-
            t-il, de la voix la plus calme qu’il le put. « C’est une chambre d’amis. — Ils m’en auraient parlé »

            siffla-t-elle, à personne en particulier. « Peut-être que non. » Il parlait sans y penser, au fond, il savait
            qu’il avait tort. « Et puis, même. Et si c’était un intrus ? Rien qu’une personne. Pas la peine d’avoir

            peur.  La police peut le déloger.  —  Pas la police » gémit-elle. « C’est le diable.  —  Rien qu’une
            personne ! » s’écria-t-il, avec l’énergie du désespoir. « Un pauvre type, dans le pire des cas, qui s’est

            glissé là et attend au chaud. C’est peut-être un danger mais rien qui vaille qu’on y perde la raison…

            — Tu ne comprends pas ! » Cracha-t-elle d’une voix de harpie, tout en se dégageant avec une force
            insoupçonnée. « La voix ! C’est la voix ! Une voix horrible, qui remuait comme une vase ! » Elle

            tremblait de nervosité, se reprit un instant, agitée de sanglots silencieux. « Je suis désolée. » Sa voix

            retombait, Ismaël revit l’espoir au bout du tunnel. « Je pourrais m’être égarée. Vous avez raison, je
            suis nerveuse. Et j’ai peu dormi ces derniers temps… » Elle remit de l’ordre à sa mise, Ismaël respira

            de nouveau et risqua  un sourire.  « Je suis une pelote de nerfs. Qu’on m’excuse. Mais  cette
            voix…horrible. » Ce n’était peut-être pas encore la fin de tout, mais ç’en était le début. Ismaël lui

            tapota l’épaule et elle le foudroya du regard, signe qu’elle semblait aller mieux. Mais des frissons la
            parcourait encore. « Allons, il faudra dormir » fit-il doucement. « Toute cette histoire est allée trop

            loin. Une voix, même horrible, ce n’est qu’une voix. Qui doit bien sortir de quelque part. — Oui »

            elle se laissa tomber sur le fauteuil rouge. « Vous avez raison. Bien sûr. Mais vraiment…elle était… »
            Elle frissonna. C’était un frisson de fièvre.

               Ismaël ne trouva rien d’autre à faire que de se racler la gorge.
                 « Bien. Je vais rester ici. Il faut que vous vous calmiez. Que vous surpassez la peur. Vous êtes

            une personne, je veux dire, une intelligence physique, et elle, n’est rien d’autre qu’une chose idiote.
            C’est cela qu’il faudra vous répéter. Entendu ? » Elle hocha la tête, lentement, comme pour retrouver

            l’usage de ses membres.  Il  acquiesça.  « Bon. Je resterai ici…oh, bon  sang, qu’est-ce que  c’est

            que… ? » When the outside temperature rises… and the meaning is, oh, so clear…Un son noyé surgit
            de sa poche de pantalon, comme les voix distordues d’un mauvais  enregistrement. Elle ne  put

            réprimer un frisson. Un malaise étrange, pour lui-même, eut tout juste  le temps de lui entrer par
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