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N° 93                                  L’ ECHO
            N’hésitez pas à me chercher si quelque chose va mal. Enfin, tout devrait bien se passer. Je reviendrai

            dans l’après-midi, par contrôle. — Avec tout le respect que je vous dois et toute ma gratitude » sourit
            Willan qui s’était assis à côté de son compagnon, « j’espère ne plus revoir votre stéthoscope avant un

            moment. — Oh, je l’espère aussi » répliqua-t-elle, amusée. « Tout ira bien. Veillez sur lui aujourd’hui
            et la nuit prochaine, Monestre, c’est tout ce que vous pouvez faire. — Merci » sourit Alfred. Elle le

            salua d’un hochement de tête presque militaire et s’en fut sans un bruit.  Sur le velouté de la moquette
            du couloir, l’incident de son arrivée lui revint en tourbillonnant. Ridicule, se répéta-t-elle, les dents

            serrées. Ce n’était rien. Un invité, sûrement, voilà…elle pressa  le pas, dégringola les escaliers,

            comme une pluie d’inquiétude. Enfin, c’était ainsi.  Lorsqu’on lui plantait l’angoisse dans les
            entrailles…toujours la même chose, elle se connaissait par cœur. Au passage, dans le froufrou de ses

            pas sévères, elle ne put s’empêcher de jeter un coup d’œil par-dessus son épaule, vers la grosse porte
            du quatrième étage. Elle frissonna. La chose dans tous ses angles avait des airs mauvais. Autant lui

            rendre son regard, mais elle n’en eut pas le cœur. La lourde porte cochère eut un bruit d’Hadès quant
            elle sortit enfin dans l’air qui gelait. Le soulagement l’étreint. L’avenue du manoir n’avait pas grand-

            chose d’avenant mais ses pavés mouillés dans  l’air encore matinal  avaient comme une brillance

            sinueuse, et reluisaient doucement, sous ses bottines usées. Elle prit une grand inspiration. Les hautes
            ombres des maisons en face la toisaient de leurs siècles de colombages. Ses pas frappaient les pavés

            grisâtres, alors qu’elle s’éloignait d’un air résolu. Sa petite maison rouge, dans l’ombre des derniers

            bâtiments, on l’avait enfoncée en bordure de forêt, juste au nœud des quelques routes. C’était presque
            un cabanon, un peu grinçant, peint avec nervosité. Elle y habitait depuis des années. Non pas qu’elle

            n’ait pas les moyens de déménager, mais elle avait grandi ici, dans sa  petite ville, avec ses petits
            patients, et elle n’aurait pu s’en déraciner. Du reste, elle avait ses habitudes. D’une main lasse, elle

            poussa doucement la porte un peu tordue, qui s’ouvrit toute seule. Elle n’avait jamais vraiment fermé
            à clef, sauf pour de longues absences. Quand on voyait l’état de la maisonnette, on se résignait aux

            effractions, verrou ou pas verrou. Ici, il n’y  avait pas de voleurs.  L’intérieur était à l’image de sa

            propriétaire ; mince, las, et  désespérément ébouriffé. Elle rangeait peu, lisait beaucoup. Des livres
            ouverts servaient de marque-page à d’autres livres ouverts. Dans la clarté aurorale qui perçait  la

            fenêtre, un petit fauteuil rouge semblait songeur. Elle s’y laissa tomber, nerveuse. L’idée lui tournait
            et retournait dans la tête. Au fond d’elle quelque chose ne  collait pas.  Cette chambre,  elle l’avait

            toujours connue vide. C’était…hé bien, tacite. On gardait la chambre vide…et Monestre Willan et
            Monsieur Alfred recevaient bien peu. Ils se connaissaient bien. Peut-être l’auraient-ils prévenue. À

            moins que…non. Ses pensées virevoltaient.  Elle se trouvait ridicule. Atteindre une telle nervosité

            pour une porte qui claque, ce n’était pas digne d’une personne de sa trempe. Elle se reprit, passa une
            main tremblante dans ce qui lui semblait être ses cheveux. Souffle court. Respirer. Elle relâcha toute

            son angoisse dans un sifflement de ballon crevé. Et Ismaël ? Elle se redressa, soulagée. Ismaël, ami
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