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N° 93                                  L’ ECHO
            ses oreilles, comme les coups bizarres d’une roue faussée. Ridicule. C’était les émotions qui parlaient.

            Elle devait se ressaisir…elle rassembla souffle et réflexions, s’appuya au chambranle. La nervosité
            aidait, c’était certain, les coïncidences tombaient mal et l’achevaient en plein envol de son délire. Elle

            prit une lourde inspiration, remit de l’ordre dans ses hantises. Ridicule. Oui,  c’était ridicule.  Un
            gamin, sûrement…c’était une farce, une farce rondement menée, et elle était tombée en plein dedans.

            Pas la peine de s’en rendre malade ! Une silhouette lui parut en contre-jour sur la gauche et la figure
            avenante d’Ismaël qui surgit dans l’encadrement de la porte fit le reste. « Bon sang, juste à temps » se

            surprit-elle à  gémir.  L’air tranquille de son ami  fut un instant troublé d’un froncement de sourcil.

            « Tout va bien… — Oui, je vous remercie. Une peur stupide. On a sonné…il n’y avait personne. —
            Oh » le visage s’éclaira « vous n’attendiez pas avec ces airs de morte-vivante sur la palier depuis tout

            à l’heure ! » Un ricanement la secoua. « Non. — Bonne nouvelle » sourit Ismaël. « J’ai votre livre, et
            mes deux oreilles, bien entendu. Il faudra vous détendre. Vous avez l’air surmenée. — Ce doit être

            ça » acquiesça-t-elle avec reconnaissance.  « Le surmenage. » Puis  elle s’entendit prononcer : « Je
            crois que j’ai besoin de votre aide. »

                 Elle lui expliqua tout, dans son fauteuil rouge  —  l’étrange porte,  ce qui lui avait été

            répondu…sa nervosité entière. Et Ismaël, le psychiatre et ami d’enfance, écoutait sans interrompre,
            calmait sa peur du plat de la main. Elle acheva les mots qu’elle martelait depuis une demi-heure

            d’une respiration saccadée. Ismaël, assis en face sur un tabouret, hocha la tête.  Il n’avait pas l’air

            inquiet, ce qui était relativement rassurant, mais aussi ses yeux se perdaient dans le vide, ce qui était
            chez lui signe d’une intense réflexion. Elle attendit quelques secondes.  À cet instant, il avait tout

            empire sur sa peur, et ses mots muets étaient ceux d’un juge. Tout son être, réalisa-t-elle, était tendu
            comme un corde d’arc, dans l’attente de la sentence. Il ouvrit la bouche. « Il faudrait…il faudrait que

            vous puissiez voir ce qu’il y a derrière la porte » souffla-t-il, comme frappé par une inspiration subite.
            « Y retourner ? » elle se glaça. Il y avait quelque chose de proprement terrifiant à cette idée.

               Ismaël hocha la tête. Il connaissait les crises violentes de Monsieur Alfred et aussi l’amitié qui liait

            le jeune couple à son amie, aussi se doutait-il qu’elle y retournerait bien vite. Mais il fallait frapper à
            la porte…c’était la porte qui intriguait. « Écoutez-moi. Si Monestre Willan et Monsieur Alfred vous

            rappellent en urgence, bien sûr, allez-y, n’hésitez pas ; il y va de la santé de quelqu’un. Mais, avant de
            partir, toquez à la porte. Vous devez vous rendre compte par vous-même qu’elle n’est rien. Rien

            d’autre qu’une pauvre planche de bois qui couvre un mystère. » Elle se retint de se mordre le poing.
            Ses mains tremblaient. C’était absurde, elle le savait, mais cette porte ne cessait pas de danser devant

            ses yeux. Comment en était-elle arrivée là ? C’était un malentendu. Elle se redressa soudain, prise

            d’un affreux courage. « Je vais contrôler l’état de Monsieur Alfred » déclara-t-elle d’une voix qu’elle
            ne se reconnaissait pas.  L’œil d’Ismaël se mit à briller.  « Une bonne chose » sourit-il. « Je vous
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