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N° 93                                  L’ ECHO
            douteux généralement aussi bien peignés qu’une haie sauvage au petit matin, Monestre Willan avait

            des airs de fil de fer, portait sur lui des couleurs de rollier daltonien et paraissait rigoler tout le temps,
            ce qui était plutôt vexant pour la personne peu avertie. Peu importe, elle le connaissait bien. Ils étaient,

            pour ainsi dire, amis. Il lui fit silencieusement signe de le suivre et marcha vers le petit salon. Elle
            savait déjà ce pourquoi elle était là. On poussa la porte de bois blanc, et elle avança de quelques pas

            sur le sol de riche parquet. Assis dans un fauteuil cabriolet aux couleurs usées, au milieu de la petite
            pièce, était assis un jeune homme, l’air absent, le teint fort pâle. Monestre Willan se tourna vers elle,

            et tout air de rire avait quitté ses traits. « Une nouvelle crise ? » demanda-t-elle, l’air grave. Willan

            hocha la tête. Son regard se baissa, soudain clair comme de l’eau. L’eau n’étaient que des larmes et
            elle posa une main compatissante sur son épaule. « Ne vous inquiétez pas » souffla-t-elle gentiment.

            « Monsieur Alfred s’en  sort toujours, n’est-ce pas ? » Monestre Willan acquiesça doucement. Elle
            lâcha son épaule et s’agenouilla aux côtés de l’homme dans le fauteuil. Bien sûr, Willan et Monsieur

            Alfred n’étaient pas mariés. Ce n’était pas qu’ils s’y  opposaient eux-mêmes  —  d’ailleurs c’était
            plutôt le contraire — mais les législations du pays ne l’autorisaient pas. Pas encore, disaient-ils. Elle,

            en médecin de  famille,  soignait efficacement, malgré les  attaques  régulières  de Monsieur  Alfred.

            « Monsieur Alfred » souffla-t-elle obligeamment, « vous m’entendez ? » Le visage luisant de sueur
            du jeune homme très pâle branla lentement. Puis une grimace crispa les ombres en nervures. Pas un

            spasme, reconnut-elle  —  il s’était fait  mal quelque part.  « Oh, bon sang » gémit-il. « Willan ? »

            Monestre Willan se précipita vers le fauteuil, les mains nerveuses, eut la présence d’esprit de ne rien
            brusquer. « Je suis là » souffla-t-il courageusement, parce que ses yeux étaient rougis d’anxiété. Un

            faible sourire étira le visage encore luisant d’Alfred. « Je vais bien » lâcha-t-il d’une voix rauque, la
            tête virevoltante. Elle, avait déjà saisi son poignet et prenait le pouls avec sévérité. « Dites-moi ce qui

            s’est passé » ordonna-t-elle. « Pas la moindre idée » grimaça Alfred. « Vous le savez bien. Je parlais
            avec Willan, juste ici…assis dans le fauteuil… — Je me doute que vous n’en avez aucun souvenir »

            sourit-t-elle. « Je suis médecin. Parlez seulement.  —  Oh » s’anima Alfred.  « Bien sûr.  —  Pas de

            problème pour respirer ? » S’enquit-elle en lâchant le poignet d’un hochement de tête approbateur.
            « Non, pas franchement » déglutit Alfred. « Alors ça ira. » Elle se releva, jeta un coup d’œil à Willan,

            qui avait braqué son regard si particulier sur elle et y mettait toute son anxiété muette. « Restez avec
            lui, Monestre, et assurez-vous qu’il reste bien conscient tout du long. Au moindre signe

            d’absence…vous savez quoi faire ; calez-lui la tête avec quelque chose, ne touchez pas à sa bouche,
            laissez-le convulser et occupez-vous de lui. Croyez-moi, il n’y a rien à faire. S’il parle, tout va bien. »

            Le regard de Willan s’abaissa,  empli d’une  angoisse terrible.  « Son état est bon » ajouta-t-elle

            doucement. « Il se remettra vite. Vous le connaissez.  —  J’ai toujours peur que ça recommence »
            grimaça Monestre Willan.  « Je vais bien, mon  cœur »  sourit  Alfred depuis son fauteuil, dans  un

            sourire courageux. Willan s’éclaira. « Je vous laisse » reprit-elle doucement. « Remettez-vous bien.
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