Page 21 - affiche-plume-2020.indd
P. 21

voiture moins de six minutes plus tôt. C’était impossible. Préoccupée par cet évènement,

            elle fit les soins urgents dans un état second, guidée par sa longue expérience d’infirmière.
                                                                     e
            En redescendant, elle s’arrêta devant la porte du 4  étage et frappa plusieurs fois. Elle
            avait tellement de questions à poser à l’inconnue qu’elle insista longuement.
              -  Il n’y a personne ici. L’appartement est inoccupé depuis plusieurs années.

            La voisine du palier était sortie, alertée par les coups répétés de Marie sur la porte close.
            Marie protesta, affirmant qu’elle y était allée quelques  minutes auparavant. Devant

            l’étonnement de la voisine, elle n’insista pas et descendit l’escalier, reprenant à voix haute

            le déroulé de sa visite chez l’inconnue.  Arrivée en bas, elle  fouilla dans sa sacoche et
            extirpa le cahier noir qu’elle brandit vers les étages supérieurs, à l’attention de l’incrédule.

              -  Regardez, c’est ce cahier qu’elle m’a donné. Je ne suis quand même pas folle !
            Mais il n’y avait plus personne pour lui répondre. Haussant les épaules, elle regagna sa

            voiture et poursuivit sa tournée matinale. Aujourd’hui, ses patients nécessitaient des soins
            relativement légers, sauf le dernier dont la plaie s’était infectée. Elle nota la dégradation

            sur sa fiche de suivi, à l’attention du médecin coordonnateur des visites en hospitalisation

            à domicile, afin qu’il prenne les décisions qui s’imposaient. Si cela ne tenait qu’à elle, ce
            patient serait retourné en soins intensifs à l’hôpital.

            Elle prit sa pause déjeuner dans sa voiture.  Elle avala son sandwich en  écoutant du

            classique. Puis elle ouvrit son cahier noir et contempla les noms qu’elle y avait griffonnés.
            Elle réfléchit  à cette  étrange rencontre  avec cette inconnue. Il devait bien y avoir une

            explication logique. Il y avait toujours une explication logique, non ? Ses pensées
            dérivèrent lentement. Soudain elle sursauta. Elle s’était assoupie quelques minutes. Il était

            temps de retourner travailler. Baissant les yeux sur son cahier elle constata médusée
            qu’une nouvelle série de noms  avaient été écrits sous les premiers. Les  noms de ses

            patients de l’après-midi, elle en était sûre et certaine. Ils apparaissaient en vert, sauf le

            dernier, écrit en rouge. Qu’est-ce que tout cela pouvait donc signifier ? Machinalement elle
            ajouta son nom au dos de la couverture : Marie DURIEUX. Ainsi annoté, il ressemblait à

            l’un de ses anciens cahiers scolaires. Elle sourit tristement en repensant à tout le chemin
            qu’elle avait parcouru depuis ses études. Son mariage, la naissance de ses enfants, leur

            départ du  foyer familial puis son récent  divorce brutal.  Tout  ce qui l’avait nourrie
            affectivement s’en était allé. Elle était seule, vide et désespérée. Heureusement que son

            travail lui procurait une profonde satisfaction. Il structurait  toute sa vie, entre les visites

            matinales  à domicile  qu’elle débutait souvent très tôt et ses  après-midi à l’hôpital qui
            finissait souvent très tard. Elle n’avait plus le temps de prendre soin d’elle, encore moins

            de rencontrer quelqu’un qu’elle n’aurait pas le courage d’aimer. Qui voudrait d’elle de toute
                                                                                                            3
   16   17   18   19   20   21   22   23   24   25   26