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voiture moins de six minutes plus tôt. C’était impossible. Préoccupée par cet évènement,
elle fit les soins urgents dans un état second, guidée par sa longue expérience d’infirmière.
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En redescendant, elle s’arrêta devant la porte du 4 étage et frappa plusieurs fois. Elle
avait tellement de questions à poser à l’inconnue qu’elle insista longuement.
- Il n’y a personne ici. L’appartement est inoccupé depuis plusieurs années.
La voisine du palier était sortie, alertée par les coups répétés de Marie sur la porte close.
Marie protesta, affirmant qu’elle y était allée quelques minutes auparavant. Devant
l’étonnement de la voisine, elle n’insista pas et descendit l’escalier, reprenant à voix haute
le déroulé de sa visite chez l’inconnue. Arrivée en bas, elle fouilla dans sa sacoche et
extirpa le cahier noir qu’elle brandit vers les étages supérieurs, à l’attention de l’incrédule.
- Regardez, c’est ce cahier qu’elle m’a donné. Je ne suis quand même pas folle !
Mais il n’y avait plus personne pour lui répondre. Haussant les épaules, elle regagna sa
voiture et poursuivit sa tournée matinale. Aujourd’hui, ses patients nécessitaient des soins
relativement légers, sauf le dernier dont la plaie s’était infectée. Elle nota la dégradation
sur sa fiche de suivi, à l’attention du médecin coordonnateur des visites en hospitalisation
à domicile, afin qu’il prenne les décisions qui s’imposaient. Si cela ne tenait qu’à elle, ce
patient serait retourné en soins intensifs à l’hôpital.
Elle prit sa pause déjeuner dans sa voiture. Elle avala son sandwich en écoutant du
classique. Puis elle ouvrit son cahier noir et contempla les noms qu’elle y avait griffonnés.
Elle réfléchit à cette étrange rencontre avec cette inconnue. Il devait bien y avoir une
explication logique. Il y avait toujours une explication logique, non ? Ses pensées
dérivèrent lentement. Soudain elle sursauta. Elle s’était assoupie quelques minutes. Il était
temps de retourner travailler. Baissant les yeux sur son cahier elle constata médusée
qu’une nouvelle série de noms avaient été écrits sous les premiers. Les noms de ses
patients de l’après-midi, elle en était sûre et certaine. Ils apparaissaient en vert, sauf le
dernier, écrit en rouge. Qu’est-ce que tout cela pouvait donc signifier ? Machinalement elle
ajouta son nom au dos de la couverture : Marie DURIEUX. Ainsi annoté, il ressemblait à
l’un de ses anciens cahiers scolaires. Elle sourit tristement en repensant à tout le chemin
qu’elle avait parcouru depuis ses études. Son mariage, la naissance de ses enfants, leur
départ du foyer familial puis son récent divorce brutal. Tout ce qui l’avait nourrie
affectivement s’en était allé. Elle était seule, vide et désespérée. Heureusement que son
travail lui procurait une profonde satisfaction. Il structurait toute sa vie, entre les visites
matinales à domicile qu’elle débutait souvent très tôt et ses après-midi à l’hôpital qui
finissait souvent très tard. Elle n’avait plus le temps de prendre soin d’elle, encore moins
de rencontrer quelqu’un qu’elle n’aurait pas le courage d’aimer. Qui voudrait d’elle de toute
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