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C’est que le monde lui-même était agonisant. Des  bruits courraient qu’un nuage
               toxique se dirigeait vers sa ville et même si ce n’était qu’une rumeur, elle avait creusé

               un  sillon dans  son esprit  et  affaiblit  encore  son envie de  vivre. Il aurait  fallu
               approfondir, se démener pour en savoir plus, réfléchir aux conséquences si cela était

               vrai, envisager de fuir, mais où ? mais comment ? Alors, elle avait décidé qu’il était

               temps  de mettre fin à  ce mélodrame  qu’était devenu  son  existence.  Elle était
               maintenant installée  sur son balcon, son  bol  à la main et regardait au loin. Son

               immeuble faisait face à un champ immense, un bosquet se dressant au milieu des
               cultures comme un îlot. Il y avait des frênes, de trembles, quelques chênes, elle y

               avait reconnu  un châtaignier… Mais tout cela  c’était  avant. Maintenant le  champ
               abandonné depuis longtemps était en friche, en désordre. Il devenait un dépotoir et

               des objets hétéroclites et inutiles y poussaient en se couvrant de rouille, de mousse

               et de liseron. Mais son regard ne fixait que les arbres qui résistaient au temps. Elle
               partirait en emportant cette image, de ce que fut le monde à son commencement.

               Elle  entendit frapper à  sa porte  et sursautât. Un intrus ? connu ?  inconnu ? Un

               gêneur en tout cas. Que faire ? se taire ? Expédier ? Elle entendit la poignée tourner,
               elle n’avait pas fermé. Elle eut un frisson de peur et une voix l’apaisa aussitôt : « Tu

               es là ? je peux rentrer ? » Elle n’était plus que frissons, elle avait reconnu la voix. Le
               visage de Jean apparût, sa voix proche et chaude termina de l’arracher à son destin.

               Encore un peu de temps, encore une chance de retrouver le goût. Un espoir. Partir et
               recommencer. Reconstruire sa vie, refaire le monde. Il avait suffi d’un hasard, d’un

               élan de  solidarité  même inutile, d’un regard chaleureux, d’une attention, d’une

               caresse, d’un plaisir. Et voilà que la vie reprenait comme ces fleurs qui poussent sur
               le béton, comme ce liseron qui couvrait la rouille des carcasses abandonnées. Elle

               quitta définitivement la mort quand elle sentit les lèvres de son compagnon sur sa
               bouche voilà que le goût lui était revenue !



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