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N° 33                               Les couleurs de la vie


            Elle avait eu maintes fois l'occasion d'être appelée pour des soins urgents au 32, avenue

            du manoir, 5ème étage, porte gauche.

            Mais ce matin-là, fatiguée par une nuit d'insomnie, elle s'arrêta au 4ème étage, et frappa
            porte gauche.

            A peine s'était-elle aperçue de son erreur, qu'une voix résonna dans la pièce du fond :
              -  Enfin ! Je vous attendais.

            Marie passa la tête par la porte entrebâillée.

              -  Excusez-moi, vous devez faire erreur, je me suis trompée d’étage. Je vais m’en aller.
              -  Surtout n'en faites rien. Entrez et venez jusqu'à moi. Allez, approchez donc !

            Intriguée, Marie s'avança jusqu'à la pièce  du  fond inondée de lumière. Assise  à  une
            grande table, une  femme  d'âge mûr la  fixait de ses yeux bleu  pâles très délavés. Ses

            longs cheveux gris tombaient librement sur ses épaules. Malgré son âge, elle était encore
            belle.

              -  Vous êtes juste à l'heure, ni trop tôt ni trop tard. C'est important la ponctualité Marie,

                  c'est même vital dans votre profession, n'est-ce pas ? Quelques minutes de plus ou
                  de moins et c'est toute une vie qui bascule, vous n'êtes pas d'accord ?

              -  Si, si, bien sûr. D'ailleurs je dois vous laisser, ma patiente du dessus a besoin de moi.
                  J'ai mal dormi et je  me suis arrêtée un  étage trop tôt. Désolée  de vous  avoir

                  dérangée.
            Sans la quitter des yeux, la dame âgée lui tendit un cahier.

              -  Ceci est à vous désormais. Faites-en bon usage.

            Marie prit le cahier  par réflexe. La couverture de  moleskine noire était  douce sous ses
            doigts.

              -  Vous devez faire erreur, madame, je n'ai jamais vu ce cahier avant.

            Sans lui répondre, l'inconnue chaussa des lunettes rondes à monture dorée qu’elle portait
            en sautoir, ouvrit un cahier posé devant elle et suivit de son index une des lignes de la

            page.
              -  Approchez-vous de la fenêtre et dites-moi ce que vous voyez sur le trottoir d'en face.

            Marie s'exécuta. Depuis la fenêtre, elle décrivit les deux hommes qui discutaient, assis à la
            terrasse d’un café, les trois personnes qui attendaient le bus et la jeune  maman qui

            poussait son landau et se dirigeait vers le carrefour.

              -  C’est elle qui nous intéresse. Elle ne doit pas traverser. Appelez-là, dépêchez-vous !

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