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adapter ses soins aux besoins réels de ses patients, en se basant sur son outil fétiche.

            Néanmoins, tout le monde ne partageait pas son point de vue. Outre plusieurs appels des
            familles qui se plaignaient  de l’irrégularité  de ses horaires de  passage et de la  durée

            erratique de ses visites, elle fût convoquée par l’infirmière en chef. Selon elle, Marie avait
            perturbé le fonctionnement du service et mis en danger la santé des patients en modifiant

            l’ordre des visites et la durée des soins fixés par le protocole sanitaire. Marie se défendit,
            arguant du fait  que sa conduite était dictée  par la logique des  couleurs  associées aux

            noms des malades. Elle présenta son cahier magique à sa supérieure, lui expliquant son

            fonctionnement et les effets  bénéfiques qu’elle avait pu constater. Rien que cette la
            semaine, un de ses patients en bleu était passé en vert. Si cela n’était pas une preuve de

            l’efficacité de son travail, c’était à ne plus rien y comprendre !  L’infirmière en  chef fixa
            longuement Marie sans rien dire. Puis, d’un ton péremptoire, elle lui signifia l’obligation de

            consulter sine die le psychiatre de la médecine de travail. Dans l’attente de son diagnostic,
            elle était suspendue de ses fonctions et ses patients seraient répartis entre ses collègues.

            Abasourdie, Marie se leva et quitta l’hôpital dans un état second. A son domicile, elle se

            coucha dans le canapé, sans rien manger. Elle était sidérée par l’attitude de sa supérieure
            dont l’incapacité à la comprendre dépassait l’entendement. Le jour se leva sur une énième

            nuit blanche pendant laquelle rien n’avait pu la faire sortir de son abattement, pas même

            les cris de sa voisine tandis que son mari la molestait une fois de plus.
            Elle avala un fond de café réchauffé, déposa le bol dans l’évier qui débordait de vaisselle

            sale et attrapa les clés de sa voiture. Le mouvement qu’elle fit en enfilant son manteau
            porta jusqu’à ses  narines les effluves de  ses aisselles.  Son odeur corporelle ne la

            dérangea même pas. Elle claqua la porte et descendit l’escalier lourdement. Dehors, le
            ciel plombé s’harmonisait  parfaitement  avec son  humeur. Elle  prit la voie rapide  pour

            rejoindre l’hôpital. Accueillie dans le service de psychiatrie par une secrétaire attentionnée,

            elle patienta de longues minutes en salle d’attente, avachie dans un fauteuil de velours
            usé jusqu’à la corde. Son nom, plusieurs fois répété, la tira de son demi-sommeil. Telle un

            zombi, elle se leva et suivit le médecin jusqu’à son cabinet de consultation.
              -  Bonjour madame Durieux. Je suis le docteur Guy. Vous souvenez-vous de la raison

                  de votre présence ici, aujourd’hui ?
            Evidemment qu’elle s’en souvenait.  Elle n’était  pas idiote à ce point ! Elle acquiesça

            lentement, les yeux baissés sur ses genoux. Le docteur écrivit quelques lignes sur une

            feuille, avant de reporter son regard sur Marie.
              -  Acceptez-vous de me le dire ?

              -  Ma supérieure exige que je vous rencontre. Elle ne m’aime pas beaucoup et trouve
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