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de tout, elle endolorissait le corps et anesthésiait les mouvements. Dans sa forme
bégnine elle abêtissait et soumettait le sujet à tout ce qui se passait autour de lui,
dans sa forme la plus maligne, elle amenait au renoncement et au suicide. Rachel
avait préparé sa seringue de xenothal et s’était décidée à l’utiliser. Sa décision elle
l’avait prise la veille après une journée harassante : la douleur et la souffrance
accompagnaient ses journées et même si elle y était habituée parfois elles prenaient
de telles proportions en touchant tant de personnes autour des malades, des
enfants, des handicapés, des vieillards égarés dans ce désastre que ses protections
lâchaient et elle se laissait submerger par la compassion. Là, c’était trop ! Elle allait
rentrer se faire couler un bain, s’y plonger pour se détendre et partir…
« Rachel ! tu peux faire un saut demain matin au trente-deux, à côté de chez toi.
C’est ton petit vieux qui a appelé. » C’était Yves le régulateur de leur cabinet. Ce
patient du cinquième elle le connaissait bien, il était hypocondriaque et ennuyeux
confortablement installé dans sa maladie sans gravité quand tant d’autres étaient
confrontés à la mort. Elle n’avait pas envie de le voir. Elle s’en fit cependant un
devoir. Voulait-elle gagner du temps ? Pourquoi s’était-elle trompé d’étage ? Le
Yves auquel faisait référence Jean était-il vraiment le même ? Des questions qui
resteront sans réponse car elle avait retrouvé le désir d’en finir. Cet intermède
étrange et agréable comme un rappel de ce qu’elle avait perdu, augmentait la
sensation du vide de son existence et son mal-être habituel. C’était pas mal aussi de
finir sur cette fin de partie réussie. Voilà que son esprit y retournait. Elle s’étonnait de
la facilité avec laquelle elle avait basculé dans cette aventure d’un jour, sans gêne ni
crainte, comme dans un rêve où les événements s’enchaînent sans lien. Elle se
remémorait ses sensations de plaisirs intenses, de fulgurances et cela faisait
remonter son désir. Elle aurait aimé qu’il fût là pour l’accompagner. Mourir dans ses
bras. En même temps, elle mesurait la monstruosité de ce qu’elle pensait : Jean
n’avait-il été qu’un objet dans ce moment de plaisir ? Aurait-il pu être autre chose ?
Ne méritait-il pas plutôt un petit mot de remerciement ? Mais qu’aurait-elle écrit sur
l’enveloppe : Jean du resto solidaire ?
Elle s’était habillée dans l’objectif de présenter un corps digne à ceux qui la
découvriraient, maquillée aussi, sobrement. Elle savourait son café qu’elle avait pris
le soin de faire avec sa petite cafetière italienne, il était fort et onctueux, un réel
plaisir. Malgré tout, elle savait se ménager des moments de bonheur simple.
Pourquoi alors ne pas s’en contenter ?
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