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inconnu. « Mais pourquoi ? Je suis  peut-être indiscret… Désolé » Après une
               hésitation : « j’ai répondu à un appel, sans doute une erreur ». « Ou bien le destin ! »

               reprit-il « Allez on rentre ensemble !


               Ils marchaient côte à  côte tout  en devisant. Leurs pas irréguliers, tantôt les

               rapprochaient, tantôt les éloignaient. Le décor était plongé dans la pénombre mais ils
               le ressentaient : rues de  pavés,  brillant à la  lumière  des  réverbères, ou  halo de

               lumière auprès des  bancs dans les squares et jardins, devantures éteintes et
               endormies  et  néons  crépitants peignant la pénombre d’une  lumière  spectrale. Ils

               déambulaient dans ce décor  en  mouvement, se rencontraient, se découvraient,
               s’apprivoisaient :  les mots furent  d’abord des  informations  puis  devinrent des

               confessions,  des aveux, des envies, d’abord des sons puis des voix, enfin des

               harmonies, des musiques qui se répondaient et se caressaient sur le rythme des pas
               qui claquaient sur le sol telle la batterie de ces « bands » de la nouvelle orléans aux

               détours d’enterrements joyeux.  Sa vie prenait un  ton  nouveau, des accents de

               bonheur,  et sa ville prenait l’allure du  Toulouse de Nougaro,  du Paname de
               Gainsbourg, des travellings d’Agnès Varda. Leurs mains s’effleuraient aux aléas de

               leur marche de plus en plus lente à la recherche du temps qui allait manquer à leur
               rencontre.  Ils  ne prêtaient plus attention aux carcasses de voitures abandonnées

               dans les rues, aux détritus qui s’entassaient çà et là, aux vitrines éventrées et pillées.
               Ils finirent par arriver aux pieds de leurs immeubles.

                   -  Après tout ce que tu m’as dit, je ne pense pas te revoir à une distribution ?

                   -  Non, en effet. »
               C’était le moment de se séparer et ils ne s’y résolvaient pas ; ils ne retrouvaient pas

               les gestes de la séparation encore mélangés tous deux des mots de l’autre. Un long
               silence gêné, des gestes maladroits, Jean rapprochait lentement son visage de celui

               de Rachel. Elle défaillait, allait-il l’embrasser ? la prendre dans ses bras, elle n’osait

               rien faire, ni l’encourager, ni l’arrêter, elle était comme hypnotisée. Il posa un baiser
               délicat quelque part entre sa joue et sa bouche « bonne nuit. Merci de ton aide… Je

               suis heureux  de te connaître ». Bien sûr,  elle était déçue  de sa délicatesse,  son
               phantasme l’avait porté plus loin mais en même temps elle était rassurée de cette

               réserve qui lui laissait le choix  d’effacer cette histoire et de retrouver le fil  de son

               néant. Elle le remercia de cet instant et gravit les marches de son perron sous son



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