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Les doigts de la jeune visagiste exécutaient machinalement son travail, tandis que dans sa tête
               défilaient les scènes illogiques qu’elle venait de vivre à l’étage dessous. Où étais-je ? Qui

               attendait la dame ? Petit à petit, Cécile y voyait clair. Cette compréhension la terrifia à
               nouveau. Marise De Palmas espérait quelqu’un qui devait l’emmener quelque part. Elle

               escomptait un missionnaire. La vieille dame était persuadée que c’était moi. Elle m’a prise

               pour ce rôle. Moi… ! Pourquoi moi ? se répétait-elle. Pourquoi ? Pourquoi ?
                      L’après-midi, Cécile rendit visite à son grand-père dans sa maison de retraite. Il leur

               était difficile de trouver un sujet de conversation. Si le vieil homme avait du mal à reconnaître
               sa petite fille, ce n’était pas parce qu’il perdait sa tête. Parmi ses petits-enfants, c’était Cécile

               qui venait le moins dans cet établissement. La jeune femme le savait.
               Cette nuit-là, Cécile Pelletier n’alluma pas son ordinateur. Elle pleurait dans son lit.



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                      La douce température s’installait définitivement dans le printemps. Trois semaines

               après la dernière séance, Cécile Pelletier fut à nouveau appelée par la plus fidèle cliente de
               5ème étage au 32, avenue du manoir. Au grand regret de Madame Mariotti, sa jeune visagiste

               annonça la cessation de son activité dans un futur proche.
               - Quel dommage ! Alors que vous êtes si douée dans ce que vous faites, pourquoi ce

               changement ? Qu’allez-vous faire ? Le tour du monde ?
               - … Je vais m’inscrire à l’école d’infirmière, pour travailler dans un hospice.

               - Dieu de ciel, qu’est-ce qui vous a pris ?

               - J’ai suffisamment d’économie pour reprendre mes études, alors j’ai décidé ainsi.
               - Un hospice ! Ceci n’est pas croyable ! Vous allez certainement moins bien gagner votre vie

               que maintenant, tout ça c’est pour vous occuper de gens sans espoir. Et vos mains ? Oh, quel
               gâchis !

               - Ne vous inquiétez pas Madame Mariotti, même si je suis moins disponible, je trouverai des
               créneaux uniquement pour vous. Mais ne le dites pas à vos amies.

               - Comment ça se fait que tout le monde me quitte ces temps-ci. Mon petit-fils veut vivre au

               Canada, puis Marise, et maintenant vous.
               - …Marise… ? Vous parlez de Madame De Palmas ?

               - Oui, Marise du quatrième étage.

               - Où est-elle allée ?
               - Elle est partie très très loin. Elle est morte.

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