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N° 19                               Espace frontière


               Elle avait eu maintes fois l'occasion d'être appelée pour des soins urgents au 32, avenue du
               manoir, 5ème étage, porte gauche.

               Mais ce matin-là, fatiguée par une nuit d'insomnie, elle s'arrêta au 4ème étage, et frappa
               porte gauche.

               A peine s'était-elle aperçu de son erreur, qu'une voix résonna dans la pièce du fond : « Enfin !

               Je vous attendais ».


                      C’était une voix sèche de femme âgée. Sur la plaque collée au bâti de la porte était
               gravé De Palmas, non pas le nom de la cliente. Pendant que les pas à l’intérieur se

               rapprochaient, elle regretta la nuit blanche passée devant son jeu vidéo en ligne. Ces dernières
               semaines, son personnage grimpait dans le palmarès. Elle était à deux doigts de battre le

               record, mais la raison l’avait retenue, il était temps d’aller dormir un peu. Voilà le résultat, ce

               matin elle avait frappé à la mauvaise porte. Dans sa tête, elle rassembla à la hâte des mots
               d’excuse :

               - Pardonnez-moi, Madame… De Palmas, de vous déranger à 7 heures et demie du matin.
               Actuellement, je devrais être chez Madame Mariotti, votre voisine de l’étage au-dessus, pour

               les soins d’urgences. Je me présente Cécile Pelletier, esthéticienne par excellence. Ma
               méthode consiste en mélange original de l’acupuncture et le massage balinais. Vous savez,

               mes mains font le miracle, mes clients rajeunissent de 15 ans en une seule séance, et ce

               bienfait dure 3 semaines, c’est garanti ! Encore mille excuses, Madame. Toutefois si vous
               avez besoin de mes services, ou bien si vous voulez essayer, n’hésitez pas. Voudriez-vous ma

               carte ?

                      Quelque seconde plus tard, elle entendit la clé tourner lentement. La magnifique porte
               vernie s’ouvrit. Alors que la bouche semi-ouverte elle s'apprêtait à sortir les phrases préparées,

               soudain la jeune femme perdit la voix.
                      Habillée d’une veste en laine blanche bien taillée, Marise De Palmas apparut telle une

               bourgeoise dans son décor haussmannien avec les meubles de caractères comme on en voit
               souvent dans ce quartier. Cependant, Cécile Pelletier fut brusquement stupéfaite par

               l’inexplicable silence de ce lieu. D’un bloc, cette monstrueuse quiétude l’écrasa. Elle se sentit

               égarée devant un sanctuaire, un cimetière. Dans le regard de Marise De Palmas résidait son
               effroi mal caché.

               - Entrez.


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