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regard lumineux et de son visage radieux.
                     Le bruit a été détonant. Une violente explosion qui a fait trembler la maison. Et

                  aussitôt tout s’est enflammé. Le brasier était d’une telle force que la toiture a volé
                  en éclats. Toute la tablée s’est figée, comme si le temps était suspendu. Après ces

                  quelques secondes de stupeur, ce furent des cris, des hurlements et une course
                  éperdue jusqu’au bout du jardin, là où finit la colline. Une heure après, il ne restait

                  plus rien. Que  des poutres calcinées, des murs noircis. À l’intérieur, tout avait

                  brûlé. Ils avaient tout perdu. Ne survivraient que les souvenirs.
                   Chaque fois qu’Amélie se remémorait cette tragédie, sa gorge se serrait et elle ne

                  pouvait retenir ses larmes. Car le plus dur fut la suite. Sa mère, trop choquée, en a
                  perdu la parole. Un an après, elle décédait. Son père est mort de chagrin, l’année

                  suivante. L’oncle  Paul et la tante Jeanne et toute leur famille en restèrent

                  longtemps traumatisés. La pauvre Raymonde est devenue  folle.  Seule la  mémé
                  Jacotte s’en est sortie sans trop  de dommage. Elle a vécu jusqu’à quatre-vingt

                  quinze ans.
                  C’est ainsi que pour ne pas oublier leurs parents, Amélie et ses frères s’étaient fait

                  la promesse de se retrouver au Combloux chaque vendredi 13.
                  Amélie était contente de revoir ses frères. Cette journée de mémoire était le seul

                  lien qui les unissait encore. Ce qu’ils avaient vécus ensemble, personne ne pouvait

                  leur ôter. Pas même les êtres chers qui partageaient leur vie. Amélie n’avait jamais
                  voulu emmener son ex au Combloux, ni sa fille ni son fils.

                    Amélie pestait. Elle avait oublié ses lunettes. Éblouie par la brusque luminosité,
                  elle baissa son pare-soleil. Elle arrivait aux Roncières. Elle tourna à droite vers le

                  centre du village et passa devant l’école de son enfance et son collège à côté. Elle

                  gardait une pensée émue de ces années d’insouciance. Même s’il fallait se lever
                  tôt, partir dans le froid, s’engouffrer dans la vieille camionnette de son père, serrée

                  comme une sardine entre Jeannot et Hervé, elle n’en avait que bons souvenirs. Le
                  soir, c’était leur mère qui venait les chercher.  L’hiver,  la nuit tombait vite avant

                  d’arriver à  la maison.

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