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quelques amis dans un bar à vin. Les bouteilles se sont vidées, mon esprit s’est embrouillé. Je
               voyais des 13 partout, je voulais jouer dans un casino. Tout miser sur le 13.

                      Avec une pudeur envolée, j’expliquais à mes comparses que le 13 évoquait pour moi
               la douce peau d’Aline, ses baisers fougueux et son corps si parfait.

                      Chaque histoire est différente.

                      Les jours se sont succédé et le soleil printanier daignait faire quelques apparitions pour
               dorer les joues de ma dulcinée. Nos discussions avec Lucienne ont pris fin en Avril. Elle

               partait pour plusieurs mois retrouver sa sœur en Bretagne, à Vannes.
                      Je terminai mon année universitaire avec succès. Les relations avec Aline étaient au

               zénith. Nous parlions d’avenir, les projets foisonnaient. Le mot ensemble se répétait à l’infini.

               Seule, l’absence de notre héroïne rendait nos vendredis rémois mélancoliques.
                      Aline commença à avoir des envies d’Océan. Les voiles vues sur des photos me

               donnèrent aussi des ailes. L’été 81 fut celui du grand changement, du déménagement, de la
               découverte des marées et des vagues. Une opportunité nous envoya vivre à Roscoff, non loin

               de Morlaix.

                      Les années passèrent dans notre Finistère d’adoption, remplies de tous ces petits
               bonheurs quotidiens. Omniprésente dans nos esprits, Lucienne le fut davantage en ce vendredi

               13 Mai 83. Aline revenait du travail. Tant de sourires juxtaposés sur son visage. Mezzo voce,
               elle m’annonça que nous allions devenir parents. Nos vendredis 13 contrastaient avec ceux de

               Lucienne.
                      Comme tant de parents, nous ne vîmes pas les années passer. On ne se rend pas

               suffisamment compte de ces années heureuses où notre garçon voulait devenir star de football,

               où notre fille se rêvait en hôtesse de l’air. Entre école, activités des enfants et boulot, la
               conscience du temps n’existait pas. Seules les première rides et les premiers cheveux blancs

               nous lancèrent des signaux amicaux.
                      Nous avons entretenu une relation épistolaire suivie avec Lucienne.

                      Elle décida de venir nous voir en 1998. En Mars. Cinquante cinq ans après son acte
               héroïque. L’avait-elle voulu ? Avait-elle remarqué qu’il y avait un vendredi 13 en Mars ?

                      Elle ne ressemblait plus à l’élégante dame de Reims. Le corps fatigué, ses yeux

               s’illuminèrent néanmoins lorsqu’elle redécouvrit les lieux de sa jeunesse héroïque.
                      Elle nous annonça qu’elle se déplaçait pour la dernière fois. L’âge, la fatigue. En

               vieillissant on ne bouge plus. Elle nous demanda de ne pas pleurer, de penser à elle, de vivre

               dans la quiétude bretonne.



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