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type nouveau. Charnel et intellectuel, fusionnel et indépendant. Une vie entière ne nous
suffirait pas. En riant, nous nous sommes seulement dit que nous devions éviter le syndrome
des vendredis 13.
Le vendredi suivant, Lucienne était là. Elle nous avait définitivement adoptés. Fine
observatrice, elle nous dérouta :
-Je sens des ondes positives., une sorte de vent d’Amour. Auriez-vous enfin décidé de
jouer à ce jeu ?
-Vous avez été un révélateur pour nous. En pleine guerre, dans la ville du brouillard,
vous avez trouvé l’Amour. J’ai enfin capté les ondes délicieusement émises par Aline. Votre
phobie du 13 nous a intrigué. Vous croyez au hasard ? Vous avez dû connaitre des joies
certains vendredis 13, tout autant que des peines à d’autres moments ?
-Je ne vous livre pas une théorie quelconque, seulement quelques extraits de ma vie.
Bien sûr, des contrariétés ont pu survenir en dehors de ces dates, mais certains évènements
dramatiques ont ce point commun. Je ne veux pas que vous reteniez cela de moi. Je vais vous
livrer ma dernière anecdote sur ce sujet. Après la guerre, nous nous sommes installés en
Champagne. Une période de bonheur avec nos enfants. Certes nous n’avions pas le confort
actuel, mais ils étaient joyeux, curieux. J’étais infirmière. Mon mari gravissait les échelons
dans son entreprise. Le vendredi 13 Juillet 1956, nous étions sortis faire la fête avec enfants et
amis. Fête nationale avec musique et lampions. A la caserne des pompiers, tout le monde
dansait, buvait, parlait fort. Les enfants se gavaient de bonbons et sans doute aussi des gouttes
laissées au fond des verres de champagne. Quand soudain, une fumée est apparue. Cela
semblait venir de notre immeuble. Notre appartement est parti en fumée. Par la suite, les
pompiers nous ont expliqué la probable origine du feu : notre poêle à charbon.
-Cela commence à faire beaucoup.
-Oui. Nous avons alors pu compter sur nos amis chers. Dans ces années-là, la
solidarité n’était pas un vain mot. Quelques mois plus tard, tout était rentré dans l’ordre. Les
années 60 furent ensuite intenses, pleines d’insouciance avec nos enfants devenus adolescents.
Vous voyez, la vie est belle !
Sa voix d’alto nous faisait rêver. Pas une seconde, elle ne s’était apitoyée sur son sort
et terminait ce vendredi avec un message d’espoir revigorant. Elle devenait un guide, une psy,
un modèle.
Ce soir-là, Aline se précipita à la cathédrale de Reims pour y déposer quelques
bougies. Sans doute a-t-elle prié pour Lucienne et notre futur. Pendant ce temps, je retrouvai
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