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Provocatrice, elle servit mon thé en me frôlant, me proposant avec malice une vue plus
               que suggestive sur ses seins fermes.

                      -Dis-moi franchement, tu préfères son spectre à mes yeux ? Quand elle est là, je
               n’existe pas, tu l’épies avec la discrétion d’une hyène. Cela dit, je suis assez inquiète de son

               absence.

                      -Aline, pas de jalousie, tu es incomparable, tellement belle, vive, attirante. Je rencontre
               deux astres tous les vendredis !

                      À ces mots, elle retrouva le sourire et me transmit l’addition, non sans avoir pris soin
               d’y ajouter son numéro de portable. C’est au moment où elle me donnait ce bout de papier

               plein de promesses, que nous la vîmes arriver. Quel soulagement ! Je la trouvais encore plus

               majestueuse avec ses cheveux mouillés et cette robe à rayures joyeuses.
                      Aline l’accueillit avec déférence :

                      -Bonjour Madame Cloarec. Voulez-vous une serviette pour vous sécher les cheveux ?
               Nous étions inquiets de ne pas vous voir. Je vous sers comme d’habitude ?

                      -Volontiers pour la serviette. Quel que soit le temps, je ne prends jamais de parapluie.

               Depuis cette traversée de la Manche en Mars 1943, je sais que les éléments décident pour
               nous. De la vie, de la mort, du soleil, de la pluie, de la sécheresse ou des tempêtes. Je les ai

               toujours affrontés. Coïncidence ou pas, les vendredis 13 ne me laissent aucun bon souvenir.
               Ainsi, je pensais rester chez moi au chaud. Puis, je me suis dit que c’était idiot. Chère Aline,

               tes remarques pleines d’humour, ton impertinence m’auraient manqué.
                      Mars 43 n’évoquait rien de précis pour moi. A l’évidence, un évènement majeur avait

               transformé la vie de Lucienne Cloarec. Mettant ma timidité entre parenthèses, je toussais

               légèrement pour capter son attention.
                      -Je suis étudiant en histoire. Pas encore spécialisé sur une période, mais les années

               trente me passionnent. Puis-je vous demander d’où vous vient cette phobie des vendredis 13 ?
               Et cette traversée, vous pouvez m’en dire plus ?

                      A ces mots, Aline revint avec la serviette. Notre égérie prit le temps de sécher ses
               cheveux, leur donnant ainsi un volume insoupçonnable. Elle avait une chevelure magnifique.

               Après un dernier mouvement de tête, elle me dévisagea avec intensité.

                      -Jeune homme, que voulez-vous savoir ?
                      Je n’eus pas le temps de répondre qu’elle reprit.

                      -Je vais commencer par cette date. Je ne suis pas superstitieuse, cependant certains

               faits graves de mon existence ont un point commun : le vendredi 13. Je ne vais pas vous



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