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Une vie pour une autre
N° 49 Une vie pour une autre
Il pleuvait ce jour-là lorsqu’elle s’est levée
« Ah ! Au fait quel jour sommes-nous ? » se dit-elle.
« Vendredi 13 ?! Zut ! »
Elle n’aimait pas les vendredis 13 qui lui réservaient toujours des surprises. Et bien souvent,
il ne s’agissait pas des meilleures. A croire que la célèbre saga d’horreur du même nom collait
parfaitement à sa réalité. Quoique, plus généralement, à celle de plusieurs millions d’êtres humains.
Après tout, la fiction ne s’inspirait-t-elle pas de faits divers, d’événements historiques, d’actes de
tous les jours ? The Handmaid’s Tale, Black Mirror, Madame Bovary, la Liste de Schindler… Tant
de chefs-d’œuvre en apparence fictifs qui, pourtant, prenaient source dans un quotidien commun à
tous. La dystopie n’était jamais totalement inventée, ni totalement fidèle à une réalité. Il persistait
toujours cette part de noirceur que l’on puisait dans notre environnement, dans cet univers infini qui
nous entourait. Vendredi 13 n’échappait pas non plus à ce schéma typique. Jusqu’où ce classique
terrifique s’imprégnait-il de la réalité ? Voilà une question sur laquelle elle se penchait sans arrêt.
Clara n’était ni superstitieuse, ni complotiste, ni férue de films d’horreur. Elle n’était rien
qu’une personne, un individu parmi tant d’autres. Une adulte lambda, avec une profession des plus
lambda et un quotidien tout aussi lambda. Pourtant sa vie n’avait rien de banal. Elle n’avait jamais
vécu de manière monotone et insipide. Sa vie ne pouvait se résumer à travers l’un de ces livres
autobiographiques dans lesquels les auteurs déchargent leurs ressentiments et révèlent au monde
entier l’étendue de leurs traumatismes d’enfance. Clara ne pouvait exprimer ce qu’elle était au plus
profond d’elle-même, ce que cachait son cœur meurtri par les années qui s’évaporaient. Son passé
se réduisait à un enchaînement de festoiements, d’accidents, de rires et de tragédies. Quoi de plus
ordinaire ? Les vendredis 13 ne lui rappelaient pourtant que des souvenirs morbides, à la limite du
cruel. Ils restaient gravés dans sa chair, dans son sang, dans les abysses de son esprit. Son monde
avait cessé de tourner depuis ce funeste jour. Parfois, il suffisait de peu pour que le train-train
habituel bascule inexorablement.
« Allez, Clara ! Motive-toi... » soupira-t-elle, comme pour se convaincre elle-même de sortir
de son lit moelleux.
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