Page 278 - tmp
P. 278
Une vie pour une autre
La douleur était encore vive, prête à resserrer ses crocs autour d’elle. La nostalgie d’une ère
révolue la submergeait encore. Mais cette peine, comme chaque élan de colère, de jalousie ou de
joie, avait fini par s’apaiser. En trois ans, l’hémorragie avait cessé de s’écouler pour laisser place à
la guérison. Ou du moins, à un semblant de guérison.
Clara reprit une grande inspiration avant d’effleurer la photographie du bout des doigts,
comme si ce simple contact allait la faire revenir à ses côtés.
« Et voilà ! Tu te rends compte ? C’est un autre vendredi 13 qui passe. Un de plus que je
traverse… Et tu n’es toujours pas là. C’est une sensation étrange que de repenser à toi, à moi… A
nous. Dire qu’il y a trois ans encore, tu riais devant l’un de ces téléfilms de Noël que tu détestais
tant. Dire qu’il y a à peine trois ans, je pouvais encore te regarder, te serrer dans mes bras, te dire à
quel point tu pouvais faire des choses stupides, te sermonner par rapport à la vaisselle que tu n’avais
pas encore lavée, te payer un fast-food après tes mille et une suppliques de gamine capricieuse, te
féliciter pour ton 18,5 suite à l’oral de français, que tu n’avais même pas révisé ! Ce sont ces actes
de tous les jours, ces futilités dont on ne se rend même pas compte quand on les vit, qui me
manquent cruellement. Comment oublier ? Comment oublier une existence toute entière ?
Comment oublier une furie enragée telle que toi ? La vérité est qu’on n’oublie pas. Jamais. Je
pourrais te mentir en disant que je ne me sens jamais seule, que j’ai su retrouver cette relation que
nous avions forgée ensemble. »
Son regard restait fixé sur la tombe, comme si elle espérait qu’un corps resurgisse pour
l’étreindre chaleureusement. Un rayon de soleil vint éclairer l’épitaphe, quelques inscriptions pour
résumer une vie chargée d’émotions, d’exploits et de tourments. Que restait-il d’Alina ? Peu de
choses, si ce n’était un souvenir. Un souvenir gravé dans une mémoire intacte, parfaite. Ne persistait
plus que ce fantôme de l’existence, cette photographie de l’instant passé, nette, précise. C’était la
seule chose qu’il subsistait de cette jeune femme, emportée bien trop tôt. La seule preuve de son
passage, ici et là-bas. C’était abréger plusieurs années d’existence en un presque rien.
« Te sens-tu coupable de mes peines, de mes larmes, de mes cris ? C’est cette question qui
résonne dans mon crâne chaque soir, avant de m’endormir dans mon petit lit de banlieue. Tu as été
mon passé, mais tu ne seras ni mon présent, ni mon avenir. J’ai décidé de me relever, de te rendre
fière, où que tu sois. Aujourd’hui, je respire, je marche, j’apprends, je profite tant bien que mal. Je
vis, tout simplement. Et c’est tout ce qui compte. Ne naît-on pas dans cet unique but, finalement ?
Je vis et je continuerai de le faire, non pas pour toi, mais bien pour moi. Je vis mais je ne t’oublie
pas, je l’ai enfin compris. Je ne veux plus pleurer plus pour toi, je... J’avance peu à peu. Parfois je
5