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qu'elle  était sur le point d'éprouver et qui ne manqueraient pas d'interloquer Fanny, sa
               meilleure amie.

               Fanny, à la différence de Myrna, était affreusement crédule. Pourtant, à contrario de sa copine
               dont le quotidien était ponctué d’une dynamique mélangeant sagement l’invraisemblance à la
               logique, celle-ci vivait  des journées si plates  qu'elles en faisaient rougir les horizons.
               Cependant, Fanny arrivait constamment à déceler les traces indicibles d'un miracle, là  où
               n'importe qui d’un peu sensé n'aurait perçu que l'électro-encéphalogramme plat d'une broutille
               environnée de néant.

               Par exemple, Fanny tentait toujours de manipuler la réalité pour qu'elle colle à la définition
               qu'elle s'en faisait.

               Les vendredis 13, Fanny avait coutume d'effectuer des comptes sur à peu près tout et
               n'importe quoi : la découpe d'une pomme, les gorgées de thé, les voitures rouges... Et,
               fatalitas, tout tombait précisément sur le nombre 13. Après, que le dernier coup de canif dans
               la golden laissé un morceau plus gros que les autres, que la dernière lampée de earl grey soit
               trois fois plus volumineuse que les précédentes ou que de l'inventaire  des autos couleur
               coquelicot s'arrête d'emblée une fois le nombre atteint,  après  avoir passé la moitié de la
               journée à arpenter les rues, cela ne dérangeait en rien la mauvaise foi de la trentenaire éprise
               de mystique.

               Myrna étant allée prendre sa douche qui avait été un peu plus longue et un peu plus chaude
               que d’habitude. Un besoin d’être enveloppé par une aura bienfaisante s’était fait sentir et, à
               des années-lumière de ses responsabilités de techniciennes qualité dans une usine
               conditionnant des produits charcutiers, elle s’était amusée à s’imaginer à l’autre bout du
               monde, sur une île que l’euphémisme le moins pittoresque aurait qualifié de lointaine.


               La jeune femme avait commencé à se vêtir, puis était allée préparer son petit-déjeuner, la tête
               environnée de parfums exotiques, lorsque le téléphone se mit à sonner.


               Il s’agissait d’un numéro masqué. Généralement, Myrna ne prenait pas la peine de répondre
               aux appels anonymes. Soit il s’agissait d’une erreur. Soit il s’agissait d’un démarcheur, ce qui
               revenait sensiblement au même. Mais, en tout état de cause, il ne pouvait s’agir d’un contact
               clairement identifié n’ayant, pour ainsi dire, rien à vendre, ni rien à cacher, surtout pas son
               identité. Pourtant, ce matin-là, Myrna avait soulevé l’étui et fait glisser la pulpe de son index
               de bas en haut sur l’écran tactile de son smartphone.

                « Allo ?! », avait-elle bredouillé, la bouche un peu empâtée.

               A peine avait-elle décroché qu’une espèce de jingle assourdissant lui avait agressé le tympan
               qu’elle avait fragile. Comme elle le répétait en de nombreuses circonstances, sa musique
               favorite était le silence et le chanteur qu’elle préférait par-dessus tout était l’oiseau.

               «  Allo, allo ! Myrna ?  Myrna Casimirov ?!  »  s’était exclamé une voix enluminée d’un
               tintamarre baroque.




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