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N° 4               Les banalités extraordinaires de Myrna Casimirov


               Il pleuvait ce jour-là lorsqu’elle s’est levée

               « ah ! au fait quel jour sommes-nous ? » se dit-elle.

               « vendredi 13 ?! zut ! »

               Elle n’aimait pas les vendredis 13 qui lui réservaient toujours des surprises.


               Le dernier vendredi 13 de Myrna avait été remarquable, à croire que le scénariste invisible qui
               s'amusait à rédiger les grandes lignes de son destin n'avait rien de mieux à faire que de la
               mettre à l'épreuve. En effet, ce jour-là, Myrna était tombée en panne, ce qui avait entraîné des
               tas de désagréments en chaîne : la jeune femme était arrivée en retard au travail, elle avait
               loupé le début d'une réunion dans laquelle son expertise était attendue et, une fois parvenue à
               destination, elle s'était rendue compte qu'elle avait oublié ses dossiers chez elle. Lors de sa
               pause d'après repas, elle avait renversé du café sur son chemisier et, pendant qu'elle allumait
               une cigarette à l'une de ses  collègues, elle  lui  avait embrasé une mèche de cheveux par
               inadvertance. Cherchant à se calmer, en fin de journée, elle s'était entaillée la lèvre en jouant
               avec une feuille de papier. Et, pour couronner le tout, le soir, une fois chez elle, ouvrant le
               carton  contenant la pizza qu'elle  avait commandée, peu désireuse de  cuisiner, elle s'était
               aperçue que sa quatre fromages s'était transformée en hawaïenne. Or, Myrna était allergique à
               l'ananas.

               Myrna avait haussé les épaules.


               « Ce n'est pas aujourd'hui que je vais commencer à devenir superstitieuse ! »

               Parce que Myrna avait ceci de très particulier : elle ne croyait en rien.

               Déjà, toute petite, elle avait sidéré Arno, son grand frère, en lui annonçant que le Père Noël
               n'était qu'une pure invention de la part des parents pour faire plaisir aux enfants. Arno, très
               choqué, avait dû être longuement consolé par sa mère qui s'était fendue d'une discussion avec
               sa benjamine. Mais en vain. Myrna, terre-à-terre, n'en démordait pas et refusait de s'excuser
               auprès de son aîné dont elle ne parvenait pas à comprendre les enfantillages.

               Myrna avait ce que l'on nomme un pur esprit matérialiste.  Il ne fallait pas lui parler de
               religion, de magie ou  de contes de fées. Elle parvenait à tout rationaliser ! Surtout les
               vendredis 13 !


               N'importe qui d'autre se serait interrogé sur l'aspect mystérieux de ce jour singulier qui,
               systématiquement, lui offrait son petit lot de péripéties. Mais pas Myrna. Lorsque la date était
               annonciatrice de sens chez les  paraskevidékatriaphobes, cette dernière se contentait de faire
               la moue, songeant simplement qu'elle risquait de vivre de drôles de moments, tout en tâchant,
               après coup, de les interpréter de façon cartésienne. Tout au plus, Myrna était-elle un tantinet
               désabusée en pensant qu'il lui faudrait trouver des arguments pour expliquer les évènements





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