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N° 37                               VALSE HESITATION




               Il pleuvait ce jour-là lorsqu’elle s’est levée « Ah ! au fait quel jour sommes-nous ? »

               se dit-elle. « Vendredi 13 ?! Zut ! » Elle n’aimait pas les vendredis 13 qui lui

               réservaient toujours des surprises. De mauvaises en général.

               Elle se prépara un café bien serré, s’assit à la table de sa cuisine et se remémora la

               soirée de la veille.  Il  n’y avait pas à tortiller, il s’était  passé quelque chose. Trois
               heures à  échanger sur son ordinateur, avec cet inconnu qui semblait si  bien la

               comprendre. Kristin n’était  pas vraiment  adepte  de sites de rencontres, trop de
               déceptions. Des heures, qu’on  passe  à rêver, à espérer,  à se faire des films qui

               s’écroulent à l’instant même où la réalité reprend le dessus. A trente-deux ans,  la

               jeune femme n’avait plus guère d’illusions, mais des anecdotes à revendre. De quoi
               alimenter les longs après-midis entre copines à la terrasse du Galion. De bons

               moments, des plages de rires et d’insouciance. Après lesquelles il fallait rentrer chez
               soi et retrouver la solitude de l’appartement.


               Elle avait beau affirmer haut et fort qu’elle aimait son indépendance, sa liberté de
               pouvoir manger ce qu’elle voulait quand elle voulait, de  ne pas avoir à faire de

               compromis sur le choix du programme télé, ce bonheur  tout relatif ne dure qu’un

               temps. Les jours gris, quand la pluie tapait trop fort au carreau, Kristin s’allongeait sur
               son lit, entre un mug de chocolat et une assiette de crêpes, et réactivait son compte

               Mytic.

               Une semaine auparavant, elle avait d’abord fait défiler les beaux gosses, barbe de

               trois jours et regards profonds, chargés de promesse. Le genre un peu mystérieux

               sur fond  de  mer déchaînée  ou  de cimes sauvages. Ne manquaient que les sous-
               titres : « Avec  moi  ma belle, l’aventure  est garantie », « Prête pour le grand

               frisson ? »…La jeune femme s’était imaginée  quelques secondes en mode
               aventurier, teint halé, jambes musclées et sa longue crinière blonde flottant dans le

               vent. Les randonnées interminables en montagne, les nuits sous la tente à se battre

               avec les moustiques, les paquets de mer qui la laisseraient transie et grelottante…
               Le souvenir de la pire expérience de sa vie, une sortie en voilier par gros temps, lui

               revint en mémoire. Elle avait passé tout son temps à lutter contre la terreur et le mal



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