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porté chance. Mais pourtant, ce bras cassé au fond, n’était-ce pas grâce à lui qu’elle
               s’était prise d’un goût immodéré pour la lecture,  qui l’avait  motivée à devenir

               bibliothécaire ? Et la maison de vacances, cet héritage sombre et humide où il faisait
               froid même l’été, que pouvait-il lui arriver de mieux que de partir en fumée ? Avec

               l’assurance, ses parents s’étaient offert un petit chalet à la montagne, où ils avaient

               passé depuis des Noël fabuleux. Quant au petit copain infidèle, pouvait-on vraiment
               parler d’une grosse perte ?


               La jeune femme arracha la page de l’éphéméride, la transforma en boule et la jeta
               vers la poubelle. « Je suis la princesse  Ariel, on  dirait que j’aurais le  pouvoir

               d’accélérer le temps  et qu’on serait passé au 14… ». Fébrilement, elle saisit son

               portable, pianota un vague mot d’excuse à l’attention de Pluto, et attrapa ses clés de
               voiture.


               A la terrasse du Café des Arts, toutes les tables étaient occupées. Les soirées de ce
               mois  de Mai étaient  particulièrement douces. Quelques randonneurs, penchés sur

               des plans, préparaient leur week-end en terre bretonne. Des lycéens révisaient leur

               bac autour d’une bière. Philippe avait commandé un verre de vin rouge. Sur la table
               voisine, il reconnut tout de suite les guides Delachaux, les bibles naturalistes dont il

               possédait lui-même une  belle collection. Une jolie brune semblait perdue dans la
               contemplation des illustrations. Foulques  et grèbes déployaient leurs ailes sur les

               deux pages ouvertes devant elle. Sur un carnet à côté, la jeune femme prenait des
               notes, consignait des données. Philippe hésita, s’éclaircit la voix avant d’oser :


                   -  Vous vous intéressez aux oiseaux ?


               La conversation s’engagea tout naturellement. Elle préparait une excursion pour le
               lendemain, au Cap Sizun. Connaissait-il la réserve ornithologique ? Philippe perdit

               toute timidité, se lança dans un exposé détaillé des différentes espèces observables.
               La jeune femme, Sandra, semblait subjuguée par ses connaissances. Sur une carte,

               il lui montra les meilleurs spots pour prendre des photos, les endroits plus secrets
               réservés aux connaisseurs. Sandra s’intéressait vivement au sujet,  posait des

               questions pertinentes. Elle ne refusa pas le verre qu’il lui proposa, regretta qu’il ne

               puisse lui servir de guide le lendemain. Philippe réfléchit rapidement, s’apprêta à dire
               que le lendemain, justement, il n’avait rien de prévu….


                   -  Maman, maman, on a trouvé des jumelles au magasin !

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