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princesse de l’océan. Ouf, elle ne lui était pas apparue sous la forme d’un bidon en
               plastique aux formes rebondies. De cela déjà, elle lui était reconnaissante.


               Il lui avait parlé de lui très simplement, avec une sincérité assez désarmante. Pas un

               de ces  échanges  un  peu  provocateurs où  chacun cache sa détresse derrière des
               bravades forcées. Pluto, c’était un hommage aux albums Mickey qu’il collectionnait

               depuis son enfance. En réalité, il s’appelait Philippe. Il travaillait dans les Ponts et
               Chaussées,  dans les bureaux. Un emploi alimentaire,  pas très intéressant qu’il

               n’essaya même pas d’expliquer. Son enthousiasme, il le réservait aux oiseaux, en
               particulier les  espèces migratrices, à l’observation desquelles il consacrait des

               heures entières le week-end. Connaissait-elle la station ornithologique  du Cap

               Sizun ? Non, Kristin  ne connaissait  pas grand-chose du guillemot de Troil ou  du
               fulmar boréal, pas plus que de l’océanite tempête ou de la mouette tridactyle. Mais à

               lire les mots passionnés de Pluto, elle avait sûrement raté quelque chose.

               Très vite, ils avaient pris l’habitude de s’écrire plusieurs fois par jour. Le matin, dès le

               réveil, pour se souhaiter une bonne journée, le midi, pour se raconter leur matinée, à

               la sortie du boulot. Puis plus longuement chaque soir. Le temps était venu de passer
               à l’étape suivante, de se rencontrer vraiment.


               La veille au soir, ce Jeudi, leurs échanges  s’étaient achevés sur  cette  proposition
               qu’il lui avait faite : se retrouver le lendemain soir à Quimper, au Café des Arts. Elle

               avait répondu par un smiley qui cligne de l’œil, et une phrase un tantinet sibylline :

               « la  nuit porte conseil »… Pas  question de lui faire croire qu’elle se jetait sur sa
               proposition comme une affamée sur un kouign-amann. Dans le petit guide de survie

               des célibataires désespérées, la consigne avait toujours été claire : il fallait savoir se
               faire désirer.


               Et ce matin, on était vendredi. Mais un vendredi 13, quelle poisse ! Hors de question
               de tenter quoi que ce soit un jour pareil. Elle les connaissait les vendredi 13 et leurs

               cortèges de mésaventures. Non pas qu’elle soit superstitieuse, on était au XXIéme
               siècle, mais quand même ! En 2000, le vendredi 13 Octobre, elle s’était cassé un

               bras à la patinoire. En 2003, le vendredi 13 Juin, un court-circuit avait ravagé la

               maison de vacances familiale. Le vendredi 13 Septembre 2013, son petit copain de
               l’époque l’avait trompée avec sa meilleure amie. Ca, elle ne savait pas encore si ça

               avait été une bonne ou une mauvaise chose, mais elle avait regretté longtemps la fin


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