Page 209 - tmp
P. 209
princesse de l’océan. Ouf, elle ne lui était pas apparue sous la forme d’un bidon en
plastique aux formes rebondies. De cela déjà, elle lui était reconnaissante.
Il lui avait parlé de lui très simplement, avec une sincérité assez désarmante. Pas un
de ces échanges un peu provocateurs où chacun cache sa détresse derrière des
bravades forcées. Pluto, c’était un hommage aux albums Mickey qu’il collectionnait
depuis son enfance. En réalité, il s’appelait Philippe. Il travaillait dans les Ponts et
Chaussées, dans les bureaux. Un emploi alimentaire, pas très intéressant qu’il
n’essaya même pas d’expliquer. Son enthousiasme, il le réservait aux oiseaux, en
particulier les espèces migratrices, à l’observation desquelles il consacrait des
heures entières le week-end. Connaissait-elle la station ornithologique du Cap
Sizun ? Non, Kristin ne connaissait pas grand-chose du guillemot de Troil ou du
fulmar boréal, pas plus que de l’océanite tempête ou de la mouette tridactyle. Mais à
lire les mots passionnés de Pluto, elle avait sûrement raté quelque chose.
Très vite, ils avaient pris l’habitude de s’écrire plusieurs fois par jour. Le matin, dès le
réveil, pour se souhaiter une bonne journée, le midi, pour se raconter leur matinée, à
la sortie du boulot. Puis plus longuement chaque soir. Le temps était venu de passer
à l’étape suivante, de se rencontrer vraiment.
La veille au soir, ce Jeudi, leurs échanges s’étaient achevés sur cette proposition
qu’il lui avait faite : se retrouver le lendemain soir à Quimper, au Café des Arts. Elle
avait répondu par un smiley qui cligne de l’œil, et une phrase un tantinet sibylline :
« la nuit porte conseil »… Pas question de lui faire croire qu’elle se jetait sur sa
proposition comme une affamée sur un kouign-amann. Dans le petit guide de survie
des célibataires désespérées, la consigne avait toujours été claire : il fallait savoir se
faire désirer.
Et ce matin, on était vendredi. Mais un vendredi 13, quelle poisse ! Hors de question
de tenter quoi que ce soit un jour pareil. Elle les connaissait les vendredi 13 et leurs
cortèges de mésaventures. Non pas qu’elle soit superstitieuse, on était au XXIéme
siècle, mais quand même ! En 2000, le vendredi 13 Octobre, elle s’était cassé un
bras à la patinoire. En 2003, le vendredi 13 Juin, un court-circuit avait ravagé la
maison de vacances familiale. Le vendredi 13 Septembre 2013, son petit copain de
l’époque l’avait trompée avec sa meilleure amie. Ca, elle ne savait pas encore si ça
avait été une bonne ou une mauvaise chose, mais elle avait regretté longtemps la fin
3