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Arrivée sur la plage, elle installa son parasol « en pur coton d’Egypte », acheté chez
               un designer à la mode, étendit un paréo de grand couturier, s’enduisit d’une crème
               solaire vendue au prix du caviar et s’allongea afin de se repaitre avec délices des
               derniers potins « people » des tabloïds dont elle était friande.

               Contrairement à d’habitude, elle ne parvenait pas à se détendre, aussi ne tarda -t-
               elle pas à se relever et décida de marcher en direction d’un amas de rochers un peu
               plus loin sur la plage. Elle avait l’impression qu’elle s’enfonçait beaucoup plus dans
               le sable aujourd’hui. Trouvant cette sensation par trop déconcertante, elle monta sur
               un rocher qui s’avéra fort visqueux et très mou pour un rocher. Elle tomba, glissa sur
               du varech, se griffa profondément la cuisse sur des coquilles de moules, se coupa le
               pied et, maudissant le vendredi 13, s’aperçut avec horreur que le vernis à ongles de
               luxe qu’elle avait appliqué avec tant de soin le matin même était totalement ruiné. Il
               lui semblait également que l’horizon s’éloignait ou se rapprochait.

               -A moins que ce soit l’univers qui se dilate, se dit-elle. Je vais rentrer à pied, ça me
               fera du bien décida-t-elle sans percevoir l’incohérence de cette pensée.

               Dans la cour pendant ce temps, Lucie était rentrée de sa promenade, revigorée par
               sa rencontre près de la digue avec Yves qui lui avait raconté en riant avoir aperçu
               Francine qui semblait « partie en piste » et déambulait le long des dunes. Lucie
               travaillait avec énergie et quelques outils.

               -Je ne suis pas très bricoleuse, soliloquait-elle tout en maniant un tournevis, mais ça,
               ça je sais faire…Puis, se saisissant d’un marteau, elle enfonça quelques clous çà et
               là, dans la barrière de Francine. Elle s’affaira également un instant près du compteur
               d’eau de sa voisine.


               Elle venait de rentrer chez elle et préparait un thé lorsque Francine, échevelée,
               portant de nombreuses griffures et couverte d’algues en décomposition fit une
               bruyante entrée dans la cour.


               Francine semblait effrayée, épuisée et pour tout dire franchement titubante. Elle,
               d’habitude si parfaitement apprêtée, semblait pour l’heure avoir emprunté les hardes
               d’un épouvantail. Elle ne portait plus qu’une chaussure et un verre de ses lunettes de
               soleil « de créateur » (comme elle aimait à le souligner) était manquant.

               Elle s’acharna longuement sur la barrière qu’elle ne parvenait pas à ouvrir. Ses
               murmures se transformèrent en vociférations puis en gémissements :

               -L’Ankou, j’entends le bruit de ses sabots ! Sa charrette…Non, pas la charrette…

               Comme la barrière continuait à lui résister, elle décida de passer par-dessus. Cela ne
               se fit pas sans quelques chutes plus ou moins gracieuses. Au moment où elle y
               parvenait enfin, un petit clou très récemment planté déchira le mini bikini qu’elle avait
               payé une fortune. Dans sa tête en ébullition une pensée clignotait en boucle :
               « vendredi 13, vendredi 13, vendredi 13… »


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