Page 195 - tmp
P. 195

-Ma douce, c’est normal, tu es tellement sublime ! dit celui-ci avec vénération. Il
               aurait embrassé le sol si elle le lui avait ordonné.

               Décidément, il n’était pas très malin mais son compte en banque bien garni et son
               adoration plaisaient à Francine qui savait qu’avec l’âge il lui était de plus en plus
               difficile de trouver un homme ayant ces deux qualités, primordiales pour elle.

               Le « drame » se déroula quelques jours plus tard. Francine, vêtue d’un pantalon de
               cuir moulant, d’un chemisier « peau de serpent » et d’un blouson argenté, portant un
               chapeau de gaucho et des lunettes de soleil dont les verres étaient de la taille d’une
               assiette à dessert, faisait une petite promenade sur le port. Cette sortie, destinée à
               permettre aux « autochtones » de l’admirer servait également à faire prendre l’air au
               dernier cadeau que lui avait fait Benoit : une paire de santiag en véritable peau de
               crocodile et galuchat, au talon biseauté incrusté de nacre et de turquoises venant
               tout droit d’une grande maison de luxe. Le soleil brillait, l’air sentait l’iode, des
               goélands lançaient leur cri rauque et le vent poussait les derniers nuages gris,
               vestiges de l’averse qui avait eu lieu une heure auparavant. Francine se sentait
               jeune et magnifique aussi était-elle de bonne humeur lorsque, soudain, un véhicule
               roulant dans une flaque éclaboussa ses bottes. Relevant la tête elle aperçut la
               conductrice « hooligan » : c’était « la Soazig » au volant de sa voiturette sans permis.

                Soaz, très concentrée afin de rester éloignée des bacs à fleur disposés en chicane
               dans la rue qui longeait le port n’avait remarqué ni Francine, ni la flaque, ni même
               peut-être l’incident.

               Bien qu’il soit difficile de lire les émotions sur son visage qui avait déjà subi deux
               liftings (Fanch la surnommait « la sœur Bogdanov »), les habitants de la cour
               constatèrent que Francine était dans une rage noire lorsqu’elle pénétra Impasse du
               Corsaire malouin à la suite de cet incident.

               De ce jour, l’atmosphère de la petite cour changea du tout au tout. Francine cessa
               ostensiblement de saluer ses voisins et de leur répondre lorsqu’ils lui adressaient la
               parole. Elle se mit à leur faire des remarques blessantes, à les dénigrer à voix haute
               lorsqu’avec Benoit, elle les croisait. De petits incidents eurent lieu, sauf bien entendu,
               chez Francine. Cela commença par la destruction de tous les pots de plantes qui
               égayaient la cour. Les serrures des portes des pentys furent bouchées par du
               chewing-gum, des hortensias furent massacrés. Puis du courrier disparut de boites à
               lettres saccagées et des ardoises furent cassées en bordure des toits... Soaz eut la
               désagréable surprise, un matin en ouvrants ses volets, de les découvrir « décorés »
               d’une multitude de sexes masculins dessinés au feutre indélébile. Tous durent
               désormais subir les réveils musicaux de leur décevante voisine. Elle venait de créer
               deux camps dont un où elle régnait seule, secondée par le servile Benoit.


               Dans « l’autre camp », c’était la sidération ! Aucun d’entre eux n’avait jamais
               envisagé la vie, et en particulier la vie dans la cour, de cette manière.



               3
   190   191   192   193   194   195   196   197   198   199   200