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-Ma douce, c’est normal, tu es tellement sublime ! dit celui-ci avec vénération. Il
aurait embrassé le sol si elle le lui avait ordonné.
Décidément, il n’était pas très malin mais son compte en banque bien garni et son
adoration plaisaient à Francine qui savait qu’avec l’âge il lui était de plus en plus
difficile de trouver un homme ayant ces deux qualités, primordiales pour elle.
Le « drame » se déroula quelques jours plus tard. Francine, vêtue d’un pantalon de
cuir moulant, d’un chemisier « peau de serpent » et d’un blouson argenté, portant un
chapeau de gaucho et des lunettes de soleil dont les verres étaient de la taille d’une
assiette à dessert, faisait une petite promenade sur le port. Cette sortie, destinée à
permettre aux « autochtones » de l’admirer servait également à faire prendre l’air au
dernier cadeau que lui avait fait Benoit : une paire de santiag en véritable peau de
crocodile et galuchat, au talon biseauté incrusté de nacre et de turquoises venant
tout droit d’une grande maison de luxe. Le soleil brillait, l’air sentait l’iode, des
goélands lançaient leur cri rauque et le vent poussait les derniers nuages gris,
vestiges de l’averse qui avait eu lieu une heure auparavant. Francine se sentait
jeune et magnifique aussi était-elle de bonne humeur lorsque, soudain, un véhicule
roulant dans une flaque éclaboussa ses bottes. Relevant la tête elle aperçut la
conductrice « hooligan » : c’était « la Soazig » au volant de sa voiturette sans permis.
Soaz, très concentrée afin de rester éloignée des bacs à fleur disposés en chicane
dans la rue qui longeait le port n’avait remarqué ni Francine, ni la flaque, ni même
peut-être l’incident.
Bien qu’il soit difficile de lire les émotions sur son visage qui avait déjà subi deux
liftings (Fanch la surnommait « la sœur Bogdanov »), les habitants de la cour
constatèrent que Francine était dans une rage noire lorsqu’elle pénétra Impasse du
Corsaire malouin à la suite de cet incident.
De ce jour, l’atmosphère de la petite cour changea du tout au tout. Francine cessa
ostensiblement de saluer ses voisins et de leur répondre lorsqu’ils lui adressaient la
parole. Elle se mit à leur faire des remarques blessantes, à les dénigrer à voix haute
lorsqu’avec Benoit, elle les croisait. De petits incidents eurent lieu, sauf bien entendu,
chez Francine. Cela commença par la destruction de tous les pots de plantes qui
égayaient la cour. Les serrures des portes des pentys furent bouchées par du
chewing-gum, des hortensias furent massacrés. Puis du courrier disparut de boites à
lettres saccagées et des ardoises furent cassées en bordure des toits... Soaz eut la
désagréable surprise, un matin en ouvrants ses volets, de les découvrir « décorés »
d’une multitude de sexes masculins dessinés au feutre indélébile. Tous durent
désormais subir les réveils musicaux de leur décevante voisine. Elle venait de créer
deux camps dont un où elle régnait seule, secondée par le servile Benoit.
Dans « l’autre camp », c’était la sidération ! Aucun d’entre eux n’avait jamais
envisagé la vie, et en particulier la vie dans la cour, de cette manière.
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