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N ° 36                      Rencontre inopinée



               Il pleuvait ce jour-là lorsqu’elle s’est levée.

               « Ah ! au fait quel jour sommes-nous ? » se dit-elle. « Vendredi 13 ?! Zut ! ».


               Elle n’aimait pas les vendredis 13 qui lui réservaient toujours des surprises.

               Marie et Paul avaient loué pour le mois de mai un cabanon en Provence, au bord de la Grande
               Bleue. Le couple espérait un temps ensoleillé durant ce séjour, mais la région connaissait un
               épisode pluvieux depuis quelques jours.

               Depuis la maisonnette toute en pierres, perchée sur un éperon rocheux dominant une crique
               enserrant une plage sablonneuse, le paysage offrait un spectacle à couper le souffle. Jeudi
               dans la soirée, à la faveur d’une éclaircie de plusieurs heures, le regard des amoureux installés
               en terrasse sous une pergola recouverte d’une bougainvillée aux bractées violettes et
               parfumées, était comme aimanté par la splendeur irisée d’un coucher de soleil virant peu à
               peu vers des teintes ocre et roses.

               Cela faisait longtemps que Marie  et Paul, enseignants à la retraite  résidant à Concarneau,
               rêvaient d’une escapade amoureuse dans le Midi. Histoire de passer du milieu océanique à un
               autre où l’odeur iodée du goémon n’étant pas ici d’actualité, fait place à d’autres essences
               présentes à la fin du printemps. Celles du romarin ou du lilas, mêlées aux effluves subtils des
               jacinthes multicolores ou des fleurs du laurier.


               Une matinée pluvieuse, idéale pour Marie en ce vendredi 13 pour débuter à l’intérieur, bien au
               chaud, la peinture d’un tableau d’inspiration locale. Même si elle ressentait secrètement une
               certaine appréhension liée à cette date...


               Le décor naturel se prêtait en effet à une représentation picturale des lieux. En descendant le
               perron du cabanon, après avoir franchi la pergola s’offrait au premier plan, un  jardin de
               rocaille agrémenté de plantes et de fleurs, parmi lesquelles un agave aux nuances gris-bleu et
               aux aiguillons terminaux brun-foncé particulièrement acérés. Au second plan se dressait un
               vieil olivier souvent chahuté par le vent, au tronc noueux et à l’écorce crevassée, regardant la
               mer en contrebas.


               Que pouvait-il bien arriver à Marie, quelque peu superstitieuse, en ce fameux vendredi 13 ?
               Lui porterait-il chance ou malchance, bonheur ou malheur ? D’autant qu’au milieu de la nuit
               précédente, un hululement répété d’une chouette lui avait donné le frisson. « Un présage
               négatif à venir » pensa-t-elle.

               Peu avant le déjeuner, Marie avait déjà réalisé sur son tableau une belle esquisse au crayon du
               paysage et posé une première couche de peinture sur la toile. Paul, quant à lui, s’était plongé
               dans plusieurs ouvrages de mycologie et avait croqué au  fusain sur  un carnet, plusieurs
               champignons de la région méditerranéenne.  Son intention sous-jacente était évidente.
               Concrétiser la partie théorique par une cueillette effective de mycètes dans l’après-midi.


               Ce que son épouse voyait d’un mauvais œil, attendu les risques liés au sol détrempé, surtout
               en ce vendredi 13 ! Cela ne pouvait qu’alimenter ses craintes, mais nullement celles de Paul,

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