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reprises que les procédures étaient parfaitement respectées et tentait de mettre un peu
d’humanité dans cette instance.
Sur l'estrade, derrière la table centrale, elle avait pris place face à la barre, entourée de
chaque côté par ses deux assesseurs et les jurés. À gauche, côté greffier d'audience, se
trouvait le box de l’accusé : Joe Derrien.
C’était un dangereux récidiviste. Déjà condamné une fois avec sursis pour vol à main
armée, il s’était retrouvé devant la cour d’assises pour un nouveau vol accompagné de
violences graves. Mathilde avait prononcé la décision de la cour lors d’une audience
publique : peine de réclusion de trois années. Le condamné avait immédiatement hurlé. Il
se vengerait de cette pétasse qui le mettait derrière les barreaux. Emmené manu militari par
les gendarmes, il avait continué de crier dans les couloirs.
Quand elle y repensait, Mathilde avait toujours la chair de poule.
Aujourd’hui dans ce train, en le voyant s’approcher, elle n’en menait pas large.
Il choisit la place à côté d’elle et enleva son blouson, puis s’installa sans dire un mot.
Elle se cala dans son siège et ressentit une peur sournoise qui la traversait. Elle se rappelait
toute cette haine au procès, tous ces mots de vengeance, les menaces proférées, les
interviews à la presse locale et les unes des journaux le lendemain.
Elle tourna son visage vers la vitre. Les paysages défilaient, le train sillonnait les vallées,
franchissait les viaducs et s’engouffrait dans les tunnels à une allure de sénateur. Mathilde
était dans ses pensées.
Joe se leva, saisit son sac et en sortit deux livres. Elle aperçut le titre du premier : « De
la rancœur et du sang ». Il ne s’attarda pas sur ce livre, prit le second et se plongea dans
sa lecture. Elle n’avait pas pu voir le titre et le texte était trop petit pour deviner de quoi il
s’agissait. L’œil en coin, elle l’observait, il surlignait des passages et annotait en marge. Pas
un mot, il était absorbé par son bouquin, il ne la regardait pas.
Mathilde feuilletait vaguement le magazine trouvé sur le siège en arrivant. Elle imaginait
ses doigts en train de l’étrangler, le couteau qu’il sortirait de sa poche à la première
occasion, un revolver avec un silencieux. Elle n’avait pas vu de contrôleur pour tenter de lui
faire un signe, elle n’en avait pas parlé non plus à sa voisine avant qu’elle ne descende à
Sospel pour prévenir le chef de gare. Deux occasions manquées.
Le train continuait son chemin, imperturbable. Il venait de repartir de Peille quand Joe
posa son livre et se leva. Elle attendit qu’il soit entré dans les toilettes pour le saisir : « Guide
de montagne en PACA, un métier hors norme ». Elle ne put s’empêcher de l’ouvrir et aperçut
une mention manuscrite : « Rappeler mardi Julien Troux, 06 73 89 87 63 ».
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