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- Joe -
Des passagers descendirent. Elle s’apprêtait à monter quand elle l’aperçut sur la plate-
forme. Elle perdit l’équilibre, se rattrapa sur la valise de son voisin, s’excusa, se reprit et
tenta de se raisonner. Allait-il la reconnaître, décider de l’agresser devant tous ces gens ?
Mathilde sentait ses jambes se dérober. Derrière les autres voyageurs s’impatientaient.
Dans un mouvement mécanique, elle passa à côté de lui, le frôlant presque. Un monsieur
la poussait pour avancer.
Le train était bondé, heureusement elle vit une place près d’une dame âgée :
— Bonjour, auriez-vous la gentillesse de mettre votre sac en haut pour que je puisse
m’asseoir ?
— Moi je veux bien, mais je n’ai pas la force de le mettre dans le porte-bagages ?
— Bien sûr, ne vous inquiétez pas, je vais le faire.
— Merci, ce n’est pas pour longtemps, je descends à Sospel. C’est le jour du marché.
C’est pour ça que le train est si plein. Vous connaissez le marché de Sospel ? Il dure toute
la journée, deux fois par mois. C’est vraiment pratique pour nous.
— Non, je ne connais pas Sospel. Il faudra que je m’y arrête la prochaine fois.
C’était vraiment un omnibus, on s’arrêtait tous les cinq kilomètres. À chaque arrêt,
Mathilde espérait le voir descendre, mais il ne bougeait pas. Heureusement, il ne regardait
pas dans sa direction.
— Sospel, deux minutes d’arrêt, annonça le machiniste. Merci de laisser descendre
avant de monter.
Plusieurs personnes se levèrent, libérant des places aussitôt prises par celles qui étaient
sur la plateforme. Mathilde était blême, il s’approchait.
Après plus de 15 années à la cour d’assises des Bouches-du-Rhône, elle se souvenait
parfaitement de ce premier procès en tant que présidente de la cour d’assise. Elle s’y était
préparée durant de longues années, commençant par prendre la responsabilité de la
composition du jury populaire, cette spécificité de la cour d’assises. Puis elle était devenue
assesseur du président qui faisait tout pour lui faciliter la tâche. Lorsqu’il était parti en
retraite, elle avait été promue présidente. Elle mesurait l’honneur qui lui était fait, mais aussi
la responsabilité qu’elle endossait. Les récits de crimes étaient souvent insoutenables, la
condamnation à des peines lourdes était aussi une source de tension intense.
Pour cette nouvelle fonction, elle voulait présider de manière exemplaire. Elle s’inquiétait
à chaque interruption de l’état mental et physique des jurés populaires, vérifiait à plusieurs
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