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elle  avait  de  brefs  moments  d’évasion  le  long  de  la  plage,  elle  se  remémorait  les

               meilleurs moments de sa vie d’adolescente.

                  L’hiver suivant fut morose. L’amitié des trois jeunes femmes était désormais à sens

               unique  même  si  Gisèle  se  refusait  à  l’admettre.  Son  admiration  pour  les  jumelles
               l’aveuglait.  Elle  leur trouvait  des  excuses  pour justifier leurs railleries  à  son  égard.

               Jusqu’au jour où elle prit connaissance d’un pli notarial trainant sur la desserte près
               de la porte d’entrée. Elle déplia la missive. Après tout, se dit-elle, je fais partie de la

               famille.  Elle  lut  et  relut  le  courrier  qui  annonçait  aux  Senelonge  qu’un  accord  de

               principe avait été trouvé pour la vente de la maison de Berck. L’affaire pourrait être
               conclue en septembre comme convenu. Gisèle allait être définitivement privée de ses

               petits moments de joie et ne pourrait plus jamais profiter du bord de mer.

                  Début juillet, elle fut obligée d’aller à Berck, comme d’habitude, la veille du séjour

               des jumelles pour préparer leur arrivée. C’est en ouvrant la porte du réduit contenant
               la chaudière qu’elle sentit une forte odeur de gaz. Tendant l’oreille, elle entendit un

               chuintement lui permettant de confirmer une fuite. Heureusement qu’elle connaissait

               les lieux par cœur et n’avait pas eu besoin de craquer une allumette pour allumer la
               bougie déposée près de la porte d’entrée. Sinon l’explosion aurait soufflé la bâtisse et

               c’en aurait été finit d’elle ! Elle ressortit, verrouilla la porte et se dirigea vers la maison

               d’Emile, un homme à tout faire qui habitait le quartier et avait plusieurs fois effectué
               des réparations pour les Senelonge. Dans sa tête, elle ressassait en boucle l’injustice

               qui lui était faite. Elle passa devant la maison d’Emile, ralentit, s’arrêta, regardant la
               façade  sans  la  voir.  Il  n’y  a  personne,  se  dit-elle  en  reprenant  sa  route.  Par

               automatisme, ses pas la menèrent jusqu’à la gare. Le train de 15h n’allait pas tarder.
               Dans un état second, elle rejoignit le quai. Sa vie partait en lambeaux et tout s’écroulait

               autour d’elle.


                  Ses pensées furent interrompues par l’arrivée du train. La porte s’ouvrit, elle mit un
               pied sur la première marche, leva la tête et s’arrêta brusquement. Une affiche illustrée

               de style Art déco, vantant les plaisirs de vacances en bord de mer, l’avait tétanisée.

                  Elle hésita, tiraillée entre colère et discernement. Monter dans ce train en laissant

               derrière elle une bombe à retardement que déclencheraient probablement les jumelles
               à leur arrivée demain ou rebrousser chemin jusque chez Emile pour qu’il répare la fuite

               de gaz ?



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