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rêve pensais-je en rêvant, j’ai rêvé me disais-je en me réveillant aussitôt, heureuse
                          quand même.

                      -   Et tu attendais le prochain rêve.
                      -   Oui toute ma vie a été un rêve de rêves.

                      La plaque d’égout envahit le petit espace entre elles, à chaque voiture qui passe.

               Monique appuie un instant sa tête sur Jeannine. Là-bas on apporte l’eau chaude dans sa
               bouilloire, et une belle boîte cloisonnée, avec des sachets parfaitement rangés, des thés, des

               tisanes. Le choix est large, pour le sommeil, la circulation, la digestion, le repos de l’âme. On
               s’occupe à choisir, en observant Jeannine et Monique qui reprennent leur place autour de la

               table basse.

                      -   Tu prends quoi Jeannine ? Du thé ? Une infusion ? Tu préfères du café ? Qui veut
                          du café ?

                      -   Je ne me souviens plus, comment se fait-il que vous ayez ses cendres ici ?
                      -   Mais tu le sais bien, c’est sa fille qui nous les a données, c’était dans les D.A.

                      -   Les D.A. ?

                      -   Le directives anticipées, une sorte de testament, les dernières volontés du
                          condamné.

                      -   Elle est comment sa fille ? elle lui ressemble ? elle vous les a apportées quand les
                          cendres ?

                      Béa avance un peu son fauteuil, la fumée de la tasse adoucit son visage et même sa
               voix, toutes s’avancent un peu, on entend le clap de l’égout.

                      -   C’est tout le portrait de sa mère, tu veux la voir ?

                      -   Même les cheveux ?
                      -   C’est même ça qu’on voit d’abord. Des cheveux fous,

                      -   vénitiens, presque roux,
                      -   Elle habite où sa fille ?

                      -   Mais ici, près de la gare, on la voit souvent.
                      Et pour la première fois depuis tant d’années, de mois, de semaines, Béa prend la main

               de Jeannine, la regarde en face.

                      -   Edith est morte, tu sais, morte pour toujours, repose-toi.
                      Est-ce ce mot, cette pression des mains, le silence immense des sœurs ? Soudain se

               produit la cristallisation, la statue de sel se retourne vers le futur, fond en larmes de tout son

               corps. Elle saisit à deux mains un bol devant elle, la légère vapeur de l’infusion paraît sourdre
               de son visage, dissoudre les salissures et les amertumes, se mêler aux larmes blanches, enlever

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