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En se levant d’un mouvement de hanche, puis lissant sa jupe en s’avançant, Jeannine
revoit tout cela, toutes les têtes tournées vers la porte de l’étude, Béa dans son chemisier blanc
éclatant, repassé à larges plis comme une nappe d’autel, se dirigeant sans hésitation vers le
bureau de la surveillante qui lui indiqua la place fatidique, souvenir cruel. Joues froides elles
s’embrassent, le regard en dehors.
- Mais que fais-tu là ? Qu’est-ce que tu écris ?
Les deux sœurs arrivent avec les plateaux.
- Elle a manqué son train,
- et perdu sa valise.
- Comment ça perdu ?
- Eh oh Jeannine, reviens.
- Mais je ne fais que ça.
Et toutes quatre rient de bon cœur, comme autrefois au pensionnat Saint Gildas, quand
leur petite bande était surnommée « le quarteron ». Les mauvaises langues y voyaient une
allusion au teint mat de Béa, bien différent de la peau blanche des filles des villes et des joues-
reinettes des filles des champs, mais c’était des mauvaises langues. Jeannine n’avait pu faire
autrement que d’entrer dans l’amitié de Béa, inséparable d’Edith depuis ce premier soir à
l’étude, Edith a jamais perdue, Edith intouchable, sauf ainsi par Béa interposée. Monique était
la plus jeune, elle avait un an d’avance, au plan scolaire précisait sa sœur, d’un air entendu.
Monique souriait, trop heureuse quand Béa laissait Edith et venait vers elles, sur la cour, dans
les couloirs, à la salle d’eau.
- Tu te souviens Béa ?
- C’est si loin.
Mais Monique ne veut pas que ce soit loin.
Jeannine se tait, les regarde tour à tour, sourie vaguement.
- Encore et toujours dans la lune !
- Encore et toujours amoureuse.
- Amoureuse toute sa vie.
- Eh oh Jeannine, reviens.
Monique se lève, repasse les toasts, remplit les verres. Tout ce temps à la cuisine avait
été consacré à la préparation de l’apéritif, un apéritif dinatoire.
- Alors raconte-nous ce qui s’est passé à la gare tout à l’heure,
- Allez dis-nous.
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